Ce n’est pas un mal que le dernier film de Maîwenn soit enfin sorti ce jour sur les écrans tellement on en a entendu parler sous toutes les coutures depuis Cannes. Une surexposition médiatique – comparable à celle du film de Valérie Donzelli – partie d’un bon sentiment (l’emballement spontané de la critique) mais tellement intensive qu’elle a de quoi être contre-productive. Maintenant visible par tous, Polisse appartient au public assez grand pour juger tout seul, et nul doute qu’il aura un impact sur ce dernier : vu début octobre en avant-première en présence de la réalisatrice et de ses acteurs (Frédéric Pierrot et Naidra Ayadi), son troisième film a déplacé les foules, peut-être autant pour son aspect sociologique que pour ses qualités cinématographiques, assez irrégulières.
Film physique à la volonté »coup de poing » Polisse pourra emporter l’adhésion totale comme un rejet tout aussi entier, on y reviendra… l’idée du film a été inspirée à Maîwenn par un documentaire télévisé et il paraît évident que cet aspect l’ait pas mal influencé. Mais il est une chose qu’on ne peut lui dénier : l’énergie.
l’énergie de son récit qui nous entraîne sans fioritures dès la première scène dans le quotidien agité d’inspecteurs de la BPM, Brigade de Protection des Mineurs. l’énergie de son regard qui veut embrasser tout le malaise social de notre époque (enfance maltraitée, pédophiles abuseurs, parents dépassés, policiers survoltés, moyens dérisoires). l’énergie surtout de la troupe d’acteurs qui les incarne avec un engagement et une conviction qui en font le coeur du film. Outre la révélation évidente d’un Joey Starr acteur, animal physique qui magnétise l’écran, de Frédéric Pierrot épatant en chef de brigade humain au duo d’enquêtrices amies/rivales Marina Foîs–Karin Viard (pénible, mais juste), la cohésion et l’implication du collectif d’acteurs irriguent toutes les scènes du film, presque un documentaire sur la vitalité du vivier actuel des acteurs français.
Dans ce film constamment immergé dans la violence grandissante de notre société et le chaos personnel d’individus fragilisés (fruit d’un vrai stage de Maîwenn à la BPM), l’hyper vitalité des acteurs a pourtant parfois du mal à supplanter l’aspect sommaire de la structure du film, qui tient plus de l’écriture télé. Un enchaînement de séquences, l’une éruptive (souvent un interrogatoire) suivie du quotidien de l’équipe, entre besoin de décompresser et prises de bec répétées avec le chef hiérarchique, pas gentil, évidemment… Et c’est là que le principe d’énergie peut, sinon se retourner contre le film, du moins en limiter sensiblement la portée. ,
Maîwenn et sa co-scénariste Emmanuelle Bercot également actrice, certainement par peur de voir fuir le public si le film affichait un naturalisme trop dur, contrebalancent toute scène éprouvante par un humour (noir) vite systématique, enchaînent engueulades internes régulières et transforment le tout en spectacle haut en couleurs. Jusqu’à surligner l’émotion de façon insistante : fallait-il que la scène de l’enfant africain qui pleure dure jusqu’à la gêne ou tant souligner le malaise des agents séparant les enfants des parents dans le camp rom ? Une lourde approche digne des habitudes télévisuelles qui fait ressembler le film à un pilote de série, tellement revoir ces personnages forts en gueule et attachants (malgré leurs lourds stéréotypes) pourrait faire la matière d’un programme télé récurrent. On remarquera que malgré son obsession de protéger les enfants, ceux-ci apparaissent trop souvent en arrière-plan d’un récit recentré sur l’étude du quotidien des enquêteurs.
Film impulsif et effervescent, Polisse est le type de film qui, à l’origine, ne devrait pas susciter de réaction intermédiaire : on devrait soit marcher et s’emballer pour la force d’une oeuvre carburant à la sensation brute, soit tordre le nez et trouver très limite l’aspect, sinon simpliste, du moins simplificateur d’un film fonctionnant plus à l’effet choc qu’à l’analyse politique subtile. Permettez-moi de me situer au milieu et de n’éprouver ni l’enthousiasme lu un peu partout, ni le rejet des chichiteux qui critiquent un film trop empathique avec la police pour être honnête, selon eux.
Juste déplorer la démagogie parfois gênante de l’ensemble, ses limites cinématographiques, tout en éprouvant un certain intérêt – de citoyen encore plus que de spectateur d’ailleurs – pour un film-dossier dressant souvent avec acuité un état des lieux pertinent sur la situation de chaos social et de tension sous-jacente de notre pays. Une photo d’époque assez fidèle prêtant au débat. Mais sûrement pas le vrai grand film attendu sur les policiers et leur place dans la société, comme avaient su l’être en leur temps L.627 de Bertrand Tavernier ou Le Petit Lieutenant de Xavier Beauvois, les critiques s’en souviennent-ils, ? , Mais qui parle encore de cinéma de nos jours, ?
Franck Rousselot
Polisse
Drame français de Maîwenn
Sortie, : 19 octobre 2011
Durée, : 02h07
Avec, : Joey Starr, Karin Viard, Marina Foîs, Emmanuelle Bercot, Frédéric Pierrot, Nicolas Duvauchelle, Naidra Ayadi, Karole Rocher, Wladimir Yordanoff »
Je n’ai pas vraiment aimé : généreux dans ses intentions mais tellement maladroit et aussi pueril que son nom écrit de manière enfantine. Et puis un problème à la base, vouloir faire une chronique quasi documentaire (pensez à Depardon ou au film El Bonaerense) tout mettant en scène une foule de personnages, très écrits, les montrant dans leurs vies personnelles (presque du marivaudage parfois). C’est un peu antinomique, je trouve et puis cela brime l’impact possible du côté docu brut de décoffrage. On s’intéresse aux acteurs (« le bal des actrices à la BPM », aurait été un bon titre) moins au sujet qui aurait mérité d’être moins personnalisé et plus regardé avec recul. Et puis, au final, le film fait un peu catalogue de toutes les situations possibles que vit la BPM. Sans s’attarder comme ça en passant comme un doc de M6.
Préfère donc nettement L627 et le film de Trapero El Bonaerense).
D’accord avec toi : sujet fort mais pas vraiment traité, disons « remplacé » par l’aspect film d’acteurs (plutôt excellents dans l’ensemble). Mais au final, c’est ce qui sauverait un peu le film à mes yeux, car si j’avais été plus froid, le côté spectacle qui veut plaire absolument aux spectateurs – démagogie y comprise – rendrait le film assez déplaisant. Mais ayant vu Maïwenn et son équipe en avant-première, très impliqués et honnêtes sur leurs intentions, je mettrai ça plutôt sur le compte d’un manque de subtilité et désir d’emporter le morceau. N’est pas Tavernier ou Beauvois qui veut, comme je le disais (le Trapero, je ne l’ai pas vu).
en tout cas, tu as changé la note de 2,5 à 2 ;)
Oui, après réflexion (et ton commentaire!), ça correspond mieux à mon ressenti final, car je crains que le film ne vieillisse mal, et j’ai fait de même chez moi aussi.. En tout cas, tu as l’oeil :-)