Déjà auteur en 2007 de l’excellent documentaire Les LIP, l’imagination au pouvoir, le parisien Christian Rouaud, ancien professeur de lettres, récidive aujourd’hui avec Tous au Larzac, qui retrace par le détail les onze années de lutte des paysans du haut plateau qui s’étend au sud de Millau dans l’Aveyron contre l’armée française et l’État, suite au projet d’extension du camp militaire devant conduire à l’expropriation de 103 exploitants et leurs familles. En alternant les interviews des principaux acteurs de l’époque et les images d’archives, Christian Rouaud fait une nouvelle fois oeuvre d’historien et de sociologue en détaillant la succession des événements qui transformèrent l’austère et isolée région en nouveau territoire de la lutte organisée, de la contestation opiniâtre et du refus d’obéissance. Une région devenue depuis symbole et lieu d’autres luttes (dont la manifestation de 2003 qui réunit plus de 200, 000 personnes et lança l’opposition contre l’Organisation Mondiale du Commerce et la culture des OGM). Si Tous au Larzac concerne toute une région à la différence du combat des LIP davantage associé à une ville (Besançon), les deux expériences outre qu’elles démarrent quasi simultanément – soit dans les années 1971-1973 – présentent beaucoup de points communs. Une prise de conscience collective par un groupe d’individus à l’intelligence visionnaire, avec aussi la présence de prêtres. l’essor de la lutte du Larzac prendra des proportions certes plus importantes, tant dans la durée (11 ans qui s’achèvent avec l’élection de François Mitterrand en 1981 qui avait promis l’abandon du projet d’extension) que dans l’incroyable mobilisation qu’elle suscita à travers le pays, occasionnant d’immenses rassemblements sur le plateau – on parla même à un moment d’un Woodstock à la française – mais sans musique à part le néo-zélandais Graeme Allwright, qui connut ensuite les foudres de la censure.
Un des aspects les plus captivants et riches d’enseignement, c’est la trajectoire personnelle d’une communauté de paysans, qui s’avoue elle-même plutôt à droite et conservatrice, rencontrant quelques années après Mai 1968, événement qu’elle vécut de loin et eut plutôt tendance à l’effrayer, des groupes de jeunes étudiants venus le plus souvent de Paris pour la soutenir, mais aussi mettre la main à la pâte. La reconstruction de l’immense bergerie – que le réalisateur filme soudain comme une cathédrale – en atteste, comme l’installation de nouveaux paysans.
Des manifestations délocalisées à la capitale – les flics aux prises avec les brebis récalcitrantes sur le Champ-de-Mars, ça vaut le détour – aux escarmouches avec les militaires qui virent à un jeu absurde du chat et de la souris, Christian Rouaud n’omet aucune des étapes qui jalonnèrent la décennie de combat avec ses moments drôles – l’humour est très présent – mais aussi émouvants. La mémoire d’un des leaders et stratèges du mouvement (Guy Tarlier) aujourd’hui disparu est évoquée par Marizette sa veuve avec beaucoup de dignité.
Ainsi que l’expérience bisontine en témoignait, et au-delà d’avoir obtenu gain de cause, au prix d’avoir parfois mis de côté l’activité principale de la culture et de l’élevage, la bataille du Larzac a permis à ceux et celles qui l’ont initiée d’appréhender et de mesurer les bienfaits de l’engagement, de la solidarité et de la persévérance, mais aussi du choc des cultures et du brassage.
à‚ côté du rappel historique, toujours riche de leçons, que constitue le passionnant Tous au Larzac – et les plans sur les paysages grandioses du plateau confirment qu’il s’agit aussi de cinéma – il y a aussi toutes les passerelles qu’on peut jeter avec l’époque actuelle (les différents mouvements des Indignés à travers le monde seraient sans doute inspirés d’aller découvrir le film). Une utopie qui à force d’acharnement et de refus d’abandon, d’inventions et d’idées devient une réalité. Et une magnifique raison d’y croire encore. Réconfortant.
Patrick Braganti
Tous au Larzac
Documentaire français de Christian Rouaud
Sortie : 23 novembre 2011
Durée : 01h58
Avec Léon Maille, Pierre Burquière, Marizette Tarlier, José Bové,…