Une séance ciné qui nous emmène aussi au musée, ou plutôt, dans l’atelier du peintre, avec le film Le Tableau, petite merveille animée qui ne devrait nullement rester cachée derrière l’arrivée des habituels blockbusters enfantins de Noël.
Rêverie créative autour d’un tableau inachevé dont les personnages vivent leur vie propre mais aussi lumineuse métaphore sociale, on doit ce réjouissant film au discret mais talentueux Jean-François Laguionie, auteur de L’Ile de Black Mor, un des trois mousquetaires (ils étaient plutôt quatre, je sais) du renouveau de l’animation française avec Michel Ocelot et Sylvain Chomet.
Un talent à la hauteur de ses ambitions, l’initiation au monde de la peinture, brillamment relevé. Le Tableau est d’abord un enchantement visuel d’une grande beauté plastique et personnelle (graphisme et personnages stylisés aux angles aigus, couleurs éclatantes, animation limpide) réussissant à s’adresser autant aux plus jeunes – à partir de sept ans – qu’à séduire les plus grands.
Car son scénario est d’une belle pertinence qui dresse une métaphore sensée de la société à travers celle de ses personnages aux statuts différents : les terminés (Toupins) qui s’arrogent le pouvoir contre ceux qu’ils jugent inférieurs car inachevés (Pafinis), encore plus contre les vrais intouchables que sont les à peine esquissés (Rufs), de véritables damnés réprouvés.
Ramo jeune favorisé s’opposant au système, accompagné d’une Pafinie la pétulante Lola, ainsi que de Plume un Ruf méprisé, décide d’aller retrouver le peintre afin qu’il termine son oeuvre et apaise leur monde.
Si la situation et le public enfantin d’abord visé peuvent faire craindre un certain manichéisme, pourtant nulle trace ou presque à l’écran, Laguionie dévidant le fil de sa fable inventive comme un magicien-conteur au sommet de son art.
Élégante, tendre et ludique, sa balade dans le monde des pigments et des gouaches est d’un tempérament poétique et rêveur, aussi lumineuse dans son initiation sans didactisme aux courants picturaux de l’histoire de l’art (abstraction exceptée) que légère dans son appel à la tolérance et au respect mutuel.
Doux et classiques, mais sans trop de gnangnan, ses petits personnages ne sont pas sans défaut : Ramo est ouvert mais montre sa »supériorité » Ruf pessimiste et aigri, Lola vive mais indépendante, chacun devant dépasser ses propres préjugés, mais leur curiosité (et l’amour) seront là pour y remédier.
L’équipée de la petite troupe découvrant le monde (un peu comme celle de Toy Story, tiens), à la recherche de leur créateur et passant de tableau en tableau, devient alors une vertigineuse ballade dans l’espace d’une virtuosité technique rare, leurs tribulations paraissant plus en relief que bien des films en 3D injustifiés : formidable rendu des volumes et matières opposé au côté plat du monde pictural.
Une échappée malicieuse passant d’un tableau guerrier à un carnaval vénitien, sarabande festive où l’on reconnaîtra dans les toiles diverses du peintre autant de jolies références à Picasso, Cézanne, Matisse ou Chagall que dans cette odyssée au charme intemporel un clin d’oeil au romantisme du cinéma de Marcel Carné ou à la douceur humaniste de l’univers de Paul Grimault (Le Roi et l’Oiseau) avec lequel Laguionie, jeune animateur, apprit le métier.
On ne dévoilera pas plus les rebondissements variés de cet enchantement, surtout pas la rencontre finale au joli prolongement philosophique, afin de garder tout son charme à ce film intelligent et tous publics, parfait cadeau de Noël – familial ou pas – en avance, beau livre où les images ont un sens et aussi une (belle) âme.
Franck Rousselot
Le Tableau
Film d’animation français de Jean-François Laguionie
Sortie : 23 novembre 2011
Durée : 01h16