La liberté jusqu’où ? Le devoir et l’amour sous quelles limites ? Peut-on encore rêver d’American way Of life passé quarante années de doutes et d’atermoiements ? Tout ça c’est dans Freedom, saga contemporaine ample et déprimante, le buzz littéraire de la fin d’année, qu’il convient de réajuster à sa relative valeur, une fois l’excitation passée.
L’Amérique sous le prisme » Desperate Housewives » tel semble être le credo de Franzen, après sa radioscopie familiale cynique de son premier livre les Corrections. L’auteur a troqué son acidité sèche contre une certaine forme d’empathie dépressive pour ses personnages. Et quels personnages… D’abord (et surtout !), Patty. mère au foyer toujours aux petits soins pour ses proches, ancienne championne de basket, mariée à un homme tranquille et ordinaire après avoir connu les amours folles et rock’n’roll avec Richard, l’ami marginal et musicos de Walter à l’époque universitaire. Patty, qui sera déçue par ses enfants pour lesquels elle voyait un avenir brillant tout tracé, mais qui feront des choix personnels qu’elle-même n’aura jamais réussi à faire. Patty, qui suite à une grosse dépression, prendra sa vie en main, obligeant les autres à modifier ou réfléchir à la leur, provoquant ainsi des remous sociaux et familiaux importants à leur échelle, mais infimes pour celle d’une planète qui tourne, qui se modifie et qui se meurt peu à peu.
Gravitant autour de ce personnage finalement extraordinaire, tant la plume de Franzen en fait une héroîne de la banalité triste, Walter, ce père de famille bien-sous-tous-rapports qui deviendra fervent militant écologiste, les enfants de Patty et ceux qui la croisent durant cette saga paraissent bien fades. Lire, Freedom, c’est comme regarder une excellente série télé de plusieurs saisons, avec pour autant un seul personnage fort sur lequel s’appuient intrigues et personnages secondaires, morceaux de bravoure et passages en creux, une foule d’histoires parsemées de la grande Histoire, celle d’une Amérique qui ne croit plus en elle-même, et sur laquelle Franzen s’épanche avec l’acidité qui caractérisait son précédent roman.
Par rapport à ce dernier, Freedom déçoit au départ de n’être qu’un catalogue exhaustif des névroses de chacun diluées dans le quotidien d’existences somme toute banales, mais qui se lit d’une traite, comme un bon feuilleton – impossible d’enlever à l’auteur ses qualités de storytelling indéniables. Mais sur les passages plus politiques, ou sur les histoires annexées à celle de Patty (le couple de Joey, les déboires politiques puis écologistes de Walter…), Franzen s’avère moins pertinent, moins en ferveur, jusqu’à par contre, faire éclater son talent sur les dernières cinquante pages, émouvantes et fortes comme peu d’ouvrages lus depuis des lustres.
Bilan d’après-abattage-médiatique : sans le porter au pinacle d’un égal d’un Tolstoî comme certains l’ont suggéré, le roman demeure une excellente saga américaine écrite finement et sincèrement. Un beau portrait, sobre et émouvant, d’un pays en proie à ses propres doutes, l’Amérique telle qu’Obama l’a imaginée, et telle qu’elle est actuellement, au final.
Une question demeure par contre toujours en suspens : la liberté, laquelle, pour qui, dans quelles limites ?
Jean-François Lahorgue
Freedom, de Jonathan Franzen
Editions de l’Olivier, 700 pages, 23€¬ env.
Date de parution : août 2011.
Un livre qui était sur ma liste puis qui en a disparu tant il me semblait finalement moins intéressant que prévu.
Cet article va l’y remettre.
A lire dans les mois à venir.
Merci