à‡a y est ! Le dernier roman de Richard Yates (1926-1992) est enfin traduit en français ! Vingt-cinq ans après sa parution aux États-Unis, » Un été à Cold Spring » ressort donc des oubliettes »Car Richard Yates, auteur adulé de l’autre côté de l’Atlantique, et maître avoué des romanciers Raymond Carver et Richard Ford, demeure encore relativement inconnu chez nous. Ce n’est que grâce à l’actrice Kate Winslet, qui suggéra à son réalisateur de mari, Sam Mendes, d’adapter à l’écran » Revolutionary Road » avec Leo Di Caprio ( » Les Noces Rebelles » en français), que l’écho lointain du grand Yates nous est parvenu ces derniers temps »
Dans » Un été à Cold Spring » l’art romanesque de Richard Yates nous plonge dans la middle-class américaine de la fin des années 30, et l’auteur, fin psychologue avéré, nous livre le brillant portrait de deux familles enlisées dans le conformisme et la médiocrité. La plume exquise de Richard Yates s’atèle ainsi à décrire, avec une déconcertante facilité, une Amérique morne, fade et désenchantée. Car ce n’est pas la folle insouciance des » Roaring Twenties » de Fitzgerald qui nous est rapportée ici ; encore moins la rébellion des admirateurs et admiratrices du King Elvis, grondant contre le conservatisme des années 50″Au contraire, » Un été à Cold Spring » nous fait découvrir une société américaine où tout est calme, plat, sourd et délavé.
Evan Shepard, jeune beau gosse sortant d’une adolescence turbulente, se passionne pour les voitures. Tous les soirs, il roule inlassablement, seul moyen pour lui d’évacuer sa frustration. Il fait la connaissance de Mary Donovan, une lycéenne, qui tombe aussitôt enceinte. Les deux jeunes gens se marient alors, mais divorcent un an plus tard à peine. Leurs aspirations semblent ainsi les séparer irrémédiablement : Mary tend à devenir » un être à part entière » en allant à l’Université et en jouissant de sa liberté, tandis qu’Evan demeure sans ambition et mène une vie de prolétaire à l’usine. » Advienne que pourra » se répète alors Evan, résigné.
Ce qui advient, alors que sa voiture vient de tomber en panne, c’est une rencontre. La rencontre fortuite avec la discrète et fragile Rachel Drake. Quand il l’aperçoit, Evan s’imagine que c’est pour lui enfin l’occasion de relancer sa vie, et de donner un véritable sens à son existence, en chérissant et protégeant cette séduisante jeune fille. Nouveau mariage donc, et courte période de félicité pour nos amoureux, qui vivent loin de leurs familles respectives dans un appartement assez coûteux d’Amityville.
Mais un jour, Rachel propose à Evan de louer une maison à Cold Spring, avec sa mère Gloria Drake et son petit frère Phil. Dès lors, » Un été à Cold Spring » se fait la chronique d’un naufrage annoncé. Tandis que Rachel s’efforce de » parachever l’image de la jeune épouse satisfaite » et de la » future mère heureuse et bien portante » Evan ne supporte ni la présence de Gloria, vieille femme alcoolique, bavarde et hystérique qui sent la tomate et la mayonnaise pourries, ni celle du jeune Phil, adolescent renfermé et complètement empoté. Et puis Cold Spring, c’est un coin paisible certes, mais c’est surtout un trou perdu, où vivent également les parents d’Evan, Charles Shepard, ancien capitaine réformé de l’Armée à cause de sa mauvaise vue, et Grace, femme ravissante mais neurasthénique, qui reste à longueur de journée cloîtrée chez elle. Et, alors que Pearl Harbour gronde, Evan rêve de s’évader en combattant dans la Marine. Mais, à l’image de son père, un tympan percé l’empêche d’intégrer l’Armée.
Été 1942, Cold Spring »face au sentiment d’échec et d’inadéquation qui l’enserre, Evan bout »Pourra-t-il continuer à vivre dans cette » vieille maison pourrie » et à » s’accommoder des déceptions mineures de l’existence » ? La fulgurance des dernières pages du roman de Yates nous saisit alors tout à coup, comme une bourrasque, comme une gifle, pour constituer un final effarant.
On dévore donc à toute allure ce merveilleux portrait croisé du quotidien des Shepard et des Drake, mené de main de maître par un Richard Yates tout à fait épatant.
François Salmeron
Un été à Cold Spring
roman de Richard Yates
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Aline Azoulay-Pacvon
Éditions Robert Laffont
206 pages ; 20 euros
Sortie en France : 6 octobre 2011