On associe assez logiquement l’Italie au catholicisme, entre autres pour des raisons historiques, et plus prosaîquement parce que le Pape siège au Vatican au coeur de Rome. Dans Corpo celeste, le premier film de la toscane Alice Rohrwacher, la religion a une part importante puisqu’au travers du rite des préparatifs de sa confirmation, elle sert pour la jeune héroîne Marta à la fois de lien social et de référence dans la découverte de son rapport au monde. Lien social d’abord, puisqu’en compagnie de sa mère et de sa soeur aînée, elle est de retour à Reggio (en Calabre, au pied de la botte) après des années passées en Suisse. Ce phénomène dit de †˜l’émigration de retour.’ tend à s’accroître dernièrement comme marqueur de la crise et du chômage qui touchent même les régions industrielles et pourvoyeuses d’emploi. Ensuite, la religion et ses traditions comme un prisme au travers duquel la petite Marta regarde l’univers des adultes qui l’entoure, sentant poindre sans le nommer le désenchantement.
Le tableau presque documentaire que dresse Alice Rohrwacher de la région dévastée – une vision qui n’est pas sans rappeler celle du Naples de Gomorra – et de ses habitants en voie de paupérisation n’a en effet rien de réjouissant. À côté de l’adolescente, deux autres figures se détachent de l’ensemble : celle du père Mario (sosie de Houellebecq), un prêtre ambitieux qui collecte les signatures pour un candidat député dans l’objectif de s’attirer les bonnes grâces de l’évêque et d’être ainsi muté dans une paroisse plus prestigieuse (agissements qui en disent long sur la collusion entre clergé et monde politique) et celle de Santa, sa bonne et assistante, entièrement dévouée, dévouement qui confine à l’amour, réglant d’une main de fer les répétitions des futurs et dissipés confirmés.
Au sein d’une communauté traditionnaliste, soucieuse de respecter avec scrupule les enseignements des Évangiles, Marta vit des instants cruciaux où se profile la fin de l’enfance (la survenue des premières règles comme signe évident). Souvent muette et rebelle, enfermée dans la salle de bains, protégée par une mère qui tient à distance la soeur jalouse et dirigiste, elle observe de ses yeux bleus les petites combines du prêtre qu’elle accompagne par hasard dans la recherche du crucifix pour le décor de la fête de la confirmation lors d’une excursion dans un village abandonné, niché dans la montagne et dont le seul occupant semble être un vieil abbé.
Dans des tons verts et bleus, Alice Rorhwacher joue des oppositions entre traditionalisme et modernité, entre le corps divin figuratif et celui bien réel et en transformation de Marta. Corpo celeste donne aussi l’impression d’intemporalité : on pourrait être aussi bien aujourd’hui que trente ans en arrière. Il réussit par ailleurs à distiller une succession d’ambiances disparates, de l’étrangeté à l’angoisse, du malaise à la cocasserie, sans jamais oblitérer le décor oppressant d’une ville rongée par la misère, aux multiples constructions en chantier, aux plages transformées en cour des miracles et refuges ultimes des gamins déshérités. Des zones interdites et dangereuses qui attirent comme un aimant maléfique la petite Marta.
Alice Rohwacher se révèle une réalisatrice prometteuse, portant un regard intelligent et insolite sur un groupe de personnes au travers du point de vue d’une gamine sur le point de quitter l’enfance et d’affronter le monde des adultes qu’elle pressent décevant et plein de désillusions putatives.
Patrick Braganti
Corpo celeste
Drame français, suisse, italien d’Alice Rohrwacher
Sortie : 21 décembre 2011
Durée : 01h40
Avec Yle Vianello, Salvatore Cantalupo, Anita Caprioli,…