D’abord, ce titre : Terreur Grande. Un titre qui s’écoute »Grande » l’adjectif, est ici employé comme un verbe, néologisme invisible, à mi-chemin entre »Grandir » et »Gronder ». Cette parenté discrète est d’autant plus significative que la peur grandit chez les personnages de ce livre en même temps qu’elle gronde, lointaine, dans la société russe des années 1937 – 1938 dont la narration se fait l’écho et où furent perpétrées de très nombreuses exécutions arbitraires.
Ce grondement-là , qui se donne à entendre de manière feutrée, ténue, oeuvre comme une toile de fond. Jean-Pierre Milovanoff s’intéresse avant tout à des itinéraires individuels, et tout particulièrement à celui d’Anton, son personnage principal – dont le nom est une référence à Tchekhov, dramaturge que sa mère a connu lorsqu’elle était encore comédienne ; refusant les longues scènes de panique, de procès, refusant en fait toute forme de longueur, ce qui confère à son livre une économie de moyens séduisante mais aussi, un indéniable côté scolaire. Scolaire est parfois cette manière de reconstituer une réalité historique en la truffant d’anecdotes. Ou encore, cette manière de peser la phrase, de tout faire pour la rendre le plus lisible possible. La succession de séquences quasiment cinématographiques formée par l’ensemble se regarde avec fluidité, détachement, avec surtout cette admiration polie que suscitent les exercices de reconstitution réussis.
Par là même, il y a un contraste évident entre les ambitions lisibles à divers endroits du livre (redonner la parole aux morts, aux anonymes, à ceux que la grande Histoire a oubliés) et le format court choisi par le romancier, bien moins propice aux captivantes digressions épiques qu’à une accumulation de scènes anecdotiques. Le choix d’un style dépouillé, pour ne pas dire neutre, n’est quant à lui guère étouffant et invite plutôt le lecteur à la distance et la retenue. En cela ludique mais trop appliqué, Terreur Grande ne tient pas toujours les promesses affichées par son beau titre. Il offre néanmoins de belles scènes, qui se lisent parfois comme de surprenants échos au roman russe ou balzacien (voir la »résurrection » de Koutzine, dans les dernières pages). Un livre polissé, un peu trop poli, mais plaisant.
Jean-Patrick Géraud
Terreur Grande, de Jean-Pierre Milovanoff
Editions Grasset
172 pages, 14 euros
Parution : Mars 2011