Adele n’est même plus grosse, elle n’est même plus obèse, elle est au-delà des critères de poids communément donnés aux personnes, elle n’est d’ailleurs plus personne. Adèle est une masse de chair, de courbes, de plis et de replis difficiles à distinguer, et un corps entièrement dévoué, offert aux plaisirs sensuels, de nourriture et de sexe. Adèle est abandonné à la bouffe et à son mari, son très cher qui aime plus que tout ces espaces de peau dont il se sert de terrain de jeux coquins et passionnés.
Adèle est un personnage hors du commun, donc. Et Isabelle Rivoal le traite en tant que tel. Pas de thèse sur l’obésité comme fléau de notre société contemporaine, ou mise en exergue des dangers liés aux troubles alimentaires, l’auteur décrit avec une minutieuse sensualité l’état de fait de la grosse Adèle qui ne pense plus et se contente d’être, d’occuper l’espace. Elle en fait un objet de désir et de besoin, assouvis ou pas par elle et par les autres, à travers une écriture d’une douce étrangeté, hors du commun elle aussi, à l’instar de son héroîne principale.
La première partie de ce roman, voluptueuse et étonnante, permet également au lecteur de comprendre comment Adèle est devenue Adèle, par des flash-backs sur son adolescence contrariée par un père absent et une mère trop proche mais pas aimante. Mais sans pathos, sans lourdeur psychologisante, tout en non-dits et en douceur.
Puis, brusquement, dans sa deuxième partie, le roman sensuel se transforme en farce truculente. La vie d’Adèle bascule dans le numéro de cirque, quand elle se voit contraint de quitter l’appartement où elle est installée, sans jamais se déplacer ou en bouger, ce qui devient un problème dans un logement vétuste qui menace de s’effondrer. Ou quand les soins hygiéniques de cette énorme corps nécessitent l’attention de plusieurs femmes »Rivoal mène sa barque littéraire d’une manière plus caricaturale, sans la délicatesse qui faisait le charme du début du livre, avec forces allusions comiques (troupiers) et scènes à la limite du surréalisme un peu grandiloquent. On avance de plus en plus déçu dans le parcours d’Adèle qui se cherche un souffle qui la ferait redevenir femme, être humain et non plus masse de chair à aimer.
Dommage donc que le bilan de ce roman déroutant – et finalement ambigû – soit en demi-teinte, en nous laissant, le comble, sur notre faim.
Jean-françois lahorgue
Grosse, de Isabelle Rivoal
Le Dilettante, 256 pages, 18 €¬
Date de parution : janvier 2012.