Dans ce livre Chantal Thomas retrace, sous la forme d’un journal tenu par Sidonie Laborde, seconde lectrice de la reine Marie-Antoinette, les derniers jours précédant la tentative de fuite de cette dernière. Au sein d’une cour décadente, où l’aristocratie assiste au spectacle de son propre déclin, la rumeur d’un peuple meurtrier gronde : des menaces de décapitation circulent sous la forme d’une inquiétante liste, et le moindre valet devient le symptôme d’une envahissante menace.
A revers de tout sentiment d’angoisse, l’écriture de Chantal Thomas communique au lecteur un diffus sentiment de nostalgie. Dans cette chronique d’une mort annoncée, l’intérêt réside moins dans l’ampleur du drame que dans la manière dont celui-ci est différé, passé au prisme des représentations d’une lectrice à la fois consciente des risques encourus en ces temps révolutionnaires et nostalgique d’un ordre monarchique où le capitalisme naissant et l’expansionnisme belliqueux d’un Bonaparte n’avaient pas encore asservi l’Europe.
Dépourvu de tout apparat clinquant, le style se veut précis, minutieux, s’abandonnant de temps à autres à de doux moments d’élégie. Subtile et savante est cette manière qu’a l’écriture de s’ancrer dans le passé sans abandonner sa présence, inlassable écho des morts dont elle porte la mémoire, avec parfois de saisissantes expérimentations langagières, comme lorsqu’une conversation triviale entre deux valets est rapportée au milieu du livre.
Cet art de la phrase transitoire, à la jonction du passé et du présent, ou du silence et de la parole, fait des Adieux à la Reine un roman d’une redoutable actualité. Ce petit monde jusque-là intangible des Grands, soudain menacé par le naufrage, ne peut que renvoyer à une situation bien familière des lecteurs – au hasard : la déroute d’une classe politique en accointance avec les milieux financiers – modernité qui donne à percevoir le passé au moyen d’une écriture critique permise par la fiction.
Car Sidonie, lectrice du XVIIIe ne connaît pas seulement la littérature des siècles qui la précèdent ou de son époque (Rousseau par exemple) ; à certains moments, son écriture semble porteuse des problématiques d’un Foucault ou d’un Corbin pour son exploration des mentalités et sa captation d’un univers olfactif. Du même coup, sa perception du présent est différée, invitant le lecteur à un recul critique qui n’ôte cependant rien au charme pittoresque de l’ensemble.
Passionnante exploration d’un siècle, récit ô combien actuel d’une déroute, Les Adieux à la Reine pourra donc également se lire comme une authentique entreprise critique, où l’histoire s’écrit par l’entremise de la fiction romanesque.
,
Jean-Patrick Géraud
Les Adieux à la Reine, de Chantal Thomas
Editions Le Seuil, collection Fiction et cie
Parution : août 2002, 244 pages
Prix Fémina 2002.