Vouloir s’ériger en pourfendeurs de la société de consommation et propager un revigorant, voire nécessaire, esprit libertaire autorise-t-il néanmoins Benoît Delépine et Gustave Kervern à réaliser un film aussi foutraque et joyeusement anarchique que les idées qu’il est censé au fond promouvoir, ? À l’évidence, la réponse devrait être non et, depuis l’épisode Mammuth qui avait plutôt séduit et convaincu dans cette façon de mener un récit de manière plus homogène et construite, on ne s’attendait pas à ce que le duo des réalisateurs de Louise-Michel , retombe dans les travers d’un humour au ras des pâquerettes, à la limite du scatologique, en tout cas franchement indigne, et d’un éclatement narratif qui transforme au fur et à mesure Le Grand soiren une succession de saynètes sans véritable liant, donnant au tout la fâcheuse impression d’être improvisé, tout en faisant preuve d’un amateurisme affligeant et d’une propension incongrue chez les auteurs à enfiler clichés sur poncifs.
Pourtant l’idée originelle de prendre comme décor une gigantesque zone commerciale périphérique avec son lot pléthorique d’enseignes universelles laissait présager du meilleur. En effet, comment ne pas voir dans ces espaces anonymes et tellement formatés et uniformes qu’ils sont globalement identiques d’une ville à l’autre, sauf leur surface et donc le nombre de magasins à s’y implanter, le territoire rêvé de la consommation de masse, avec l’abrutissement et le suivisme qui font logiquement avec. l’apparition de Not, dernier punk à chien d’Europe selon ses propres dires, même si on verrait davantage son compagnon canin aux basques d’une petite vieille, a quelque chose de l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Jean-Pierre, son frère, qui trime à vendre des matelas à la technologie révolutionnaire dans un des hangars de la zone, constitue le symbole de la réussite et de l’intégration de la famille, dont les parents tiennent le restaurant de La Pataterie, établissement curieusement désertifié. Les deux compères de Groland ne semblent pas s’intéresser réellement à leur sujet, préférant prendre la tangente et renouer ainsi avec l’escapade et les chemins buissonniers, lorsque Jean-Pierre est viré, pète les plombs avant d’être récupéré et †˜éduqué.’ par son frère aîné à une existence libre et sans contraintes, hormis la pauvreté, la solitude, l’ostracisme et l’ennui.
Dès lors, de grand soir, envisagé comme la destruction par le feu des surfaces de la zone commerciale, il ne pourra bien sûr y avoir. Par amitié, on retiendra l’esprit libertaire et bordélique qui prévaut à l’ensemble, Not et Jean-Pierre comme des lointains parents de Jean-Claude et Pierrot, les deux marginaux des Valseuses en 1974. Bien sûr, le film a son côté punk, non seulement dans le look de Not savamment entretenu à la bière et à la sueur, puis dans la nouvelle dégaine de Jean-Pierre, mais aussi dans les concerts des Wampas, et surtout dans ces scènes de délire total, : l’irruption au mariage, l’intrusion dans les maisons du lotissement. Dans ces instants, Benoît Delépine et Gustave Kervern semblent en complète roue libre, tout comme leurs acteurs débridés qui s’en donnent à coeur joie – l’inénarrable Brigitte Fontaine épluchant soigneusement ses patates restera comme une séquence culte du film. Culte peut-être, mais terriblement anecdotique et superficiel. Quitte à opter pour la dérision et le déjanté, autant être drôle et grinçant, caustique et innovant. Hélas, Le Grand soir parait en rester aux intentions, se perdant rapidement dans des sketches lourdingues et inopportuns qui manquent résolument leur cible.
Patrick Braganti
Le Grand soir
Comédie française de Benoît Delépine et Gustave Kertren
Sortie : 6 juin 2012
Durée : 01h32
Avec Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel, Bouli Lanners, Brigitte Fontaine,…