Il aurait été dommage de ne pas saluer ici la sortie de ce disque. Il aurait été dommage, malgré l’affection qu’on porte à leur précédent et intime Teen Dream, de redouter l’arrivée de son successeur. Il aurait été dommage de redouter la nouvelle étape du parcours riche et exigeant d’un des groupes les plus craquants de ces dernières années. Il aurait été fou, il EST fou, de ne pas écouter le dernier Beach House.
Car écouter leur nouvel opus, Bloom, c’est déjà y succomber. Même diffusé à répétition depuis déjà longtemps, même plus d’un mois après sa sortie mi-mai dernier, même chroniqué depuis des lustres sur toute la blogosphère, je l’affirme encore : Bloom est le plus beau disque de cette saison, voire de ce premier semestre 2012.
Ce quatrième album du duo Alex Scally–Victoria Legrand fait mieux que de préserver la grâce du cotonneux Teen Dream, il porte à un cran supérieur leur dream pop en lévitation et l’envoûtement de leur mélodies oniriques. Une vraie exploration en profondeur de la puissance de fascination qu’offre leur musique. Apparemment suite naturelle de Teen Dream, en fait très différent, plus complexe dans son écriture et beaucoup plus immédiat, Bloom confirme l’état de grâce d’un duo au sommet de son art, imposant leur suprématie. Une maîtrise sonore bluffante et limpidité mélodique toute entière contenue dans l’inaugural Myth, ses claviers tourbillonnants, sa guitare fascinante, son lyrisme rayonnant, le tout porté par la voix androgyne somptueuse de Victoria, au timbre envoûtant de prêtresse.
L’approche pop plus directe des chansons de Bloom, sans être trop grand public, le son ample et dynamique offert par le producteur Chris Coady, les surprenantes poussées shoegaze des guitares d’Alex, les claviers atmosphériques et les prouesses vocales impressionnantes d’une Victoria désormais intouchable : voilà, dans le désordre, les ingrédients du fascinant breuvage dream pop délivré par le duo.
Plutôt que d’affadir son inspiration le son de Bloom, s’il fait perdre au groupe son côté précédemment douillet, fait gagner Beach House en combativité et en force, ici plus tranchant et puissant hissant l’art du duo à des hauteurs inégalées. Spleen tonifié (Myth), onirisme densifié (Wild, New Year), explosions de joie lumineuse ou d’humeur (merveilleux On The Sea et Wishes) : les songes turbulents et doux de Beach House n’en semblent que plus scintillants, aux reflets miroitants de cathédrale, mêlant en une seule galette le meilleur des fondamentaux shoegaze (Jesus & Mary Chain, Mazzy Star) ou la figure pop hantée d’une Nico.
Et surtout il plane sur cet album baigné de sons et de courants maritimes l’ombre tutélaire d’une formation au magnétisme inépuisable, qui ne cesse de diffuser ses ondes secrètes et bénéfiques : nul doute que Victoria et Alex se soient replongés dans le bain rayonnant des uniques Cocteau Twins pour y puiser la vigueur de leur pop lumineusement mélancolique, leur spiritualité discrète, la fascination vocale d’une Liz Fraser, le shoegaze de la guitare réverbérée de Robin Guthrie.
Réussissant l’exploit de clore leur disque de la même façon que celle des écossais naguère, sur un morceau de bravoure sonore, bombe à retardement de tension et de beauté, une Irene d’anthologie au lyrisme répétitif et hypnotique, zébrée de la somptueuse guitare shoegaze d’un Alex Scally déchaîné, clou d’un hypnotique parcours sonore aux airs de voyage intérieur, Beach House signe un disque addictif, vraie drogue dure pour tous ceux qui succomberont sans la moindre résistance aux doux vertiges de leur chants magnétiques.
House, sweet house…
Franck Rousselot
Beach House – Bloom
Label : Bella Union
Date de sortie :, 14 mai 2012