Grizzly Bear – Shields

Il est des groupes dont la musique séduit très vite, procurant des effets immédiats et ceux dont l’influence est plus tortueuse pour s’avérer pas moins marquante au fil du temps. Auteurs de trois disques célébrés par la critique, les américains de Grizzly Bear sont de ceux-là , n’ayant jamais dérogé aux propres règles qu’ils ont établies, depuis leur inaugural Horn Of Plenty de 2004.

Originaux et exigeants, les travaux des new-yorkais ne manquaient pas d’arguments, entre écriture folk relue par les critères indie et expérimentations à la Radiohead, mais, revers de la médaille, quitte à laisser parfois l’auditeur à leur porte, souvent intimidé par le sérieux style premiers de la classe du jeune quatuor (Chris Bear, Ed Droste, Daniel Rossen, Chris Taylor). Mais, signe encourageant, l’horizon s’était déjà ouvert sur le notable et justement salué Veckatimest (2009), plus mélodique et plus accueillant.

Aboutissement logique de cette phase ascensionnelle, leur dernier-né illumine la rentrée avec sa majesté de pièce maîtresse scellant la cohésion et la communion des membres du groupe. Ambitieux et complexe, mais lumineux et évident, Shields révèle déjà son caractère de classique moderne, conjuguant fougue d’interprétation, limpidité mélodique et grâce harmonique, osons le dire son caractère de chef-d’oeuvre.

Depuis un Sleeping Ute d’introduction jusqu’au Sun In Your Eyes final, une foule de références ont beau se bousculer, aucune jamais ne dessert ce disque surprenant, à  l’aspect à la fois composite dû aux inspirations différentes de ses membres mais cependant d’une totale fluidité.

Ainsi l’aspect fiévreux et lyrique de Sleeping Ute au son presque sale ressuscite-t-il les plus grandes heures de Jeff Buckley, tandis que le dépouillement de The Hunt évoque la rugosité de Tortoise et l’austérité de Radiohead ou que la richesse d’écriture de What’s Wrong et son cousinage avec le jazz évoque l’école du folk anglais ou même Robert Wyatt. Un jeu que l’on pourrait décliner à  l’infini, mais qui n’a que l’intérêt de démontrer le niveau d’excellence atteint ici par la bande.

Mais la grande nouveauté est l’aspect plus incarné, le caractère d’urgence et la violence sous-jacente qui fait la force de cet opus : Speaking In Rounds, Sleeping Ute, illuminés par la voix angélique de Daniel Rossen ou la splendeur pop qu’est Yet Again, single chanté par un Ed Droste, porté par la grâce – et l’une des grandes chansons de l’année – sont autant de pièces vibrant d’une immédiateté sonique et d’une chair dont le groupe n’était pas vraiment coutumier.

Conjugué à  leur cérébralité de base et leur art des chausse-trappes mélodiques, cette vigueur expressive procure à la musique du groupe l’aspect affectif qui avait pu, avant, lui faire défaut. Alternant lyrisme à  la Arcade Fire (A Simple Answer) ou sensualité ludique à la Vampire Weekend (le réjouissant Gun-Shy), la bande des quatre conduit l’auditeur avec une maestria discrète mais implacable dans les climats les plus divers, avec l’exploit de ne JAMAIS répéter la même formule tout au long de ces dix titres exemplaires.

Quant à  l’épique doublé final composé de Half Gate et d’un Sun In Your Eyes aux sept minutes graves et triomphantes, il s’avère la conclusion idéale d’un disque en apesanteur, étape majeure d’une formation apte à  déjouer tous les pièges dressés sur sa route (groupe réservé aux hipsters (!) ou risque d’élitisme).

Sans renier ses fondamentaux naturels d’exigence, Grizzly Bear s’est à l’évidence nourri des escapades en solo de chacun (Chris Taylor sur Cant avec Twin Shadow, Ed Droste avec Robin Pecknold des Fleet Foxes ou Daniel Rossen sur son remarquable EP Silent Hour / Golden Mile) et a fondu en un seul objet toutes les bonnes influences et fulgurances que chacun a rapporté.

L’union fait donc la force et ce Shieds éclatant en est la preuve irréfutable. Grand groupe, grand disque.

Franck Rousselot

Grizzly Bear – Shields
Label : Warp Records
Date de sortie :,  17 septembre 2012

site Grizzly Bear
Grizzly Bear sur Warp Records
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2 thoughts on “Grizzly Bear – Shields

  1. Salut Franck/Blake!

    Je n’ai pas eu le temps d’écouter cet album, mais j’en attendais beaucoup, et ta chronique me rassure, parce que je sais bien qu’on a les mêmes attentes sur ce groupe. J’y cours de suite!

    Sinon, je vois que tu n’as rien perdu de ton envie de découvrir et de faire partager ce que tu trouves malgré l’arrêt des Chroniques, c’est cool de pouvoir continuer à te lire.

    1. Salut Joris.

      Désolé de ne pas avoir répondu à l’époque de ton commentaire. Merci, mais comme tu vois, je n’ai pas trop eu ces derniers temps le temps de continuer à écrie régulièrement, j’espère que ça changera vite.

      Merci en tout cas et à très vite !

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