Compliance est un film doublement éprouvant tant par son sujet que par sa mise en scène. Il est question de manipulation, de crédulité et de lâcheté – trois éléments qui vont bien ensemble et se trouvent ici réunis dans la réserve étroite et sordide d’un fast-food américain, théâtre terrifiant, incroyable mais pourtant réel – d’autant plus que le film s’inspire de faits divers tristement authentiques – d’un acharnement abject envers une employée accusée de vol par un inspecteur de police qui agit par téléphone, secondé en quelque sorte sur place par la gérante du restaurant. La proposition du réalisateur Craig Zobel est en fait une nouvelle version de la fameuse expérience de Stanley Milgram, qui vise à mesurer le degré d’obéissance d’un individu face à l’autorité, laquelle à ses yeux peut légitimer n’importe quel geste (une scène fameuse de I comme Icare de Henri Verneuil en 1979 illustre parfaitement la démarche du psychologue américain). La soumission à l’ordre, notamment policier, semble annihiler toute faculté de jugement et d’esprit critique chez ceux qui se plient à l’autorité, dût-elle prendre les contours les plus inquiétants et les plus saugrenus.
Dans Compliance, le grotesque et l’exagération affleurent si rapidement que le réalisateur s’octroie le droit de nous révéler la supercherie macabre en train de se jouer, menée, il est vrai, de main de maître par un manipulateur hors pair, capable de prendre en compte tous les éléments complaisamment fournis, très connaisseur aussi de la nature humaine. Qui évidemment n’en ressort pas grandie. Le monstre qui sommeille en chacun de nous n’a aucun mal à se réveiller pour peu qu’on lui en donne l’opportunité, permettant du coup de régler différends et jalousies accumulées. Dans les deux premiers tiers, le film est un huis clos étouffant et claustrophobe, qui provoque énervement et malaise, parce que Craig Zobel n’hésite pas à jouer de la répétition, rendant de plus en plus irréelle la tragédie qui se met en place dans un engrenage inéluctable, dont on finit par douter qu’il puisse jamais se gripper. Le dernier tiers sait aller à l’essentiel, ne s’embarrassant pas de détails ou d’explications. Ce qui intéresse le réalisateur n’est bien sûr pas les motivations d’un malade, mais la réaction de ses victimes (à des degrés divers) et surtout comment celles-ci vont s’arranger avec la terrible réalité, s’offrir une nouvelle innocence et se dédouaner à bon compte. Le spectateur qui possède l’oeil extérieur et en devient ainsi omniscient ne peut que s’interroger sur ses propres troubles, peut-être persuadé au plus profond de sa conscience qu’il n’aurait pas agi différemment de cette femme zélée, tellement soucieuse de bien faire dans la perspective inavouée d’en tirer profit.
Patrick Braganti
Compliance
Drame américain de Craig Zobel
Sortie : 26 septembre 2012
Durée : 01h30
Avec Ann Dowd, Dreama Walker, Pat Healy,…