l’annonce eut l’effet d’une bombe dans le monde littéraire, et pourtant, il faudra s’en convaincre : Philip Roth tire sa révérence avec » Nemesis » paru au mois d’octobre en France, après quelques romans assez décevants, dont » Le Rabaissement « . l’écrivain américain nous livre ainsi un dernier récit admirable, comme s’il avait réussi, lui qui se dit si las et qui ne veut plus se consacrer à la fiction, à jeter ses forces dans un ultime projet littéraire pour le moins épatant.
Avec » Un homme » » Indignation » et » Le Rabaissement » » Némésis » s’inscrit effectivement dans un dernier cycle que l’écrivain a baptisé » Nemeses » et qui vient interroger sous différents points de vue la question de la mort : ici, Philip Roth décrit l’évolution d’une épidémie de polio qui frappe la communauté juive de la ville de Newark (Etats-Unis), pendant l’été 1944. Sous une chaleur accablante, et face à une maladie dont on ne sait alors comment elle se transmet, si ce n’est qu’elle frappe avant tout les enfants, notre héros, Bucky Cantor, jeune prof de sport vigoureux et animé d’un sens extrêmement aigu du devoir, affronte le fléau et tente de protéger du mieux qu’il peut les gamins qui se trouvent sous sa charge.
Car, en premier lieu, il faut entendre » nemesis » comme » le fléau » c’est-à -dire comme une maladie qui frappe aveuglément les êtres les plus innocents et les plus fragiles qui soient. Le fléau apparait donc comme le comble de l’injustice aux yeux de Bucky, et le jeune homme, pourtant animé par la foi, se révolte contre son dieu, à l’image du personnage d’Ivan dans » Les Frères Karamazov » de Dostoîevski. » Nemesis » prend ainsi la tournure d’une véritable tragédie où les hommes, impuissants, ne peuvent que subir leur destin et les impénétrables desseins des dieux. La question du pourquoi devient alors obsédante pour Bucky : pourquoi un tel mal est-il permis ?
Mais aussi, face à ce qui les accable, les hommes tentent comme ils peuvent de s’organiser et de réagir. En ce sens, la polio de » Nemesis » fait écho à » La Peste » d’Albert Camus, où l’on perçoit également les différentes réactions d’une communauté face à aux maux qui la meurtrissent. Ici, la peur, l’angoisse et la panique apparaissent comme les sentiments décrivant le panel émotif des hommes, avec la colère et le courage qu’incarne également Bucky Cantor.
Pourtant, ce sens trop aigu du devoir va finir par ronger notre héros. En effet, Bucky, qui se veut absolument exemplaire et irréprochable, pense que si un des enfants qu’il garde sur l’aire du terrain de jeu tombe malade, la faute lui en incombera. Un sens trop lourd des responsabilités pèse sur ses épaules et, en ce sens, » Nemesis » n’est pas que le récit clinique, historique et sociologique d’une catastrophe : le roman s’attarde aussi sur les cas de conscience de Bucky et le sentiment de culpabilité qui le gagne. Alors, peut-on vouloir le bien et faire le mal ? Sommes-nous tous coupables ou bien innocents face aux fléaux aveugles et éminemment tragiques qui nous écrasent ? Ou tout n’est-il qu’une question de chance et de malchance dans les événements qui déterminent le sort de nos vies ?
» Nemesis » apparaît donc comme une tragédie contemporaine dont la construction est tout aussi exemplaire. Des premiers symptômes aux premiers cas, jusqu’aux ravages de la polio, l’angoisse va crescendo. La position du narrateur vient également structurer remarquablement le récit. Il n’apparaît que de manière subliminale dans le cours du récit, pour reprendre la main dans la dernière partie du roman et offrir par là un éclairage rétrospectif sur l’évolution des événements, ainsi que sur les souffrances et les séquelles des victimes, de leurs proches et de leur famille. Un livre fort, dramatique et poignant venant brillamment parachever la carrière de l’écrivain américain.
François Salmeron
Nemesis, roman de Philip Roth
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Pasquier
Editions Gallimard
226 pages, 18,90 Euros
Sortie : 4 octobre 2012