Comment appréhender de manière la plus juste possible ce livre-somme qui a fait le buzz et la plupart des palmarès de fin d’année 2012 alors même qu’il reste décrié par pas mal de monde ? Il semble en effet inopportun de ne voir en ce premier roman que le portrait déguisé de la carrière de Xavier Niel, le patron de Free, ou que le premier livre relatant les années Minitel et Internet en France, ou que le digne successeur de Michel Houellebecq dans le monde du livre hexagonal. Erreurs certes, mais en partie seulement.
Car, avant tout, La Théorie de l’Information est une formidable épopée sociale, celle d’un homme des années 80, devenu en quelques décennies qui connurent le changement de siècle comme le changement des pratiques sociales, économiques et politiques pour devenir une société complètement tournée et dévoué au numérique – devenu donc, un peu « l’homme de la situation ». Et, dans ce contexte environnemental fort, presque le premier rôle de ce roman même s’il ne s’agit que d’un fond de paysage high-tech, l’auteur retrace avant tout la destinée d’un homme à la fois complètement banal et totalement en phase avec l’évolution geek des usages sociaux des dernières 25 années.
Il s’agit donc, plus que d’un documentaire fouillé, riche et parfois abscons sur les évolutions technologiques des sciences des télécommunications et de l’information de 1980 à nos jours, d’une épopée, presque balzacienne selon les dires de l’auteur, celle de Pascal Ertanger, ingénieur comme son père, issu de la classe moyenne tendance sup’ de Vélizy Villacoublay ; et qui, petit à petit, de par son caractère visionnaire comme extrêmement pragmatique, va construire le devenir social et érotique numérique des Français. A l’origine du Minitel Rose qui sera les grandes heures du pré-Internet en France, puis à l’origine d’un réseau Internet-mobile-médias combiné qui verra l’ascension des « box multi-fonctions » du XXIème siècle, ce héros malgré lui passé sous la plume de Bellanger devient un Rastignac tendance nerd, un vrai personnage houellbecquien sans l’emphase prophétique new-age de ce dernier (quopique…)
Alors oui, le roman possède un parti-pris rebutant : un style froid, sec, extrêmement épuré à la limite de la fadeur, mais qui épouse, je trouve, parfaitement la nature de son sujet et la personnalité de son personnage principal. Un roman anti-romanesque en fin de compte, seul gros reproche de ce pavé ambitieux, extrêmement fouillé dans sa volonté de documenter un sujet jusque-là peu abordé en littérature, et souvent passionnant, comme des pages Wikipédia en plus évocatrices et littéraires.
On peut néanmoins regretter, une fois le livre terminé, l’absence d’empathie et de proximité avec ce Pascal Ertanger, qui reste finalement un objet d’étude assez déshumanisé par Bellanger, malgré les nombreux passages socio-culs – et qui rappellent l’oeuvre houellebecquienne – qui émaillent le récit chronologique.
Une oeuvre assez impressionnante, qui passe peut-être juste à côté du qualificatif de chef-d’oeuvre tant on sent l’auteur vouloir à tout prix désincarner son roman, ses héros, sa mythologie 2.0. Un objet de curiosité en tout cas, hautement recommandable.
Jean-François Lahorgue