De prime abord, le dernier film de Jean-Claude Brisseau a tout pour faire fuir : une histoire tirée par les cheveux d’un vieil homme solitaire recueillant une jeune fille molestée dans l’entrée de son immeuble, des variations guère limpides et souvent oiseuses sur les croyances et la réincarnation, l’ensemble dans un huis-clos (le vaste appartement labyrinthique et rempli d’objets et de livres) où résonnent les dialogues très littéraires et très mal joués par les deux comédiens : le réalisateur lui-même et la jeune Virgine Legeay. Cela donne un résultat crispant, irritant et ennuyant. Pourtant, contre toute attente et au mépris de la moindre logique, le film suscite l’intérêt, voire subjugue et fascine parce que sa dimension testamentaire n’échappera à personne. Que fait-on de sa vie, quelles traces laisse-t-on et quels moments ont compté, autant de questions qui taraudent Michel, dans lequel il est rigoureusement impossible de ne pas voir le double du cinéaste, non seulement parce qu’il l’interprète, que l’appartement en question est le sien, mais aussi parce que les deux partagent la même philosophie et un regard convergent sur le monde et la vie. Celui qui a été jusqu’à présent un réalisateur dérangeant et encombrant, abordant les thèmes des violences sociales, du plaisir féminin ou des pratiques mystiques, semble atteindre ici une forme d’apaisement et de sagesse. La douceur du ton, la prévenance paternelle manifestée vis-à -vis de Dora et la bonne humeur désormais recouvrée à savoir que sa fin de vie connaitra une raison d’être, sinon un enchantement fugace et vif, plongent l’homme dans une sérénité sans naîveté ni angélisme qui a bien quelque chose de poignant et touchant. Parfois oeuvre fantastique, avec des maladresses confondantes et des représentations d’un autre temps, La Fille de nulle part est aussi un film de fantômes, revisitant le parcours d’un homme au crépuscule de sa vie. Il y a là quelque chose d’infiniment bouleversant, sans aucune tricherie, d’une impudeur totale. Quelque chose aussi d’un homme qui se livre et se met à nu.
Patrick Braganti
La Fille de nulle part
Drame, fantastique français de Jean-Claude Brisseau
Sortie : 6 février 2013
Durée : 01h31