Si Passion ne déchaîne pas encore les passions au sein de Benzine, il a au moins le mérite de diviser : bon thriller pour les uns, mauvaise redite pour les autres, De Palma a le chic pour ne laisser personne indifférent. A vous de juger !
Brian de Palma est le cinéaste de la relecture, un obsessionnel créant sa propre oeuvre à partir de celles des autres. Il n’est donc pas si étonnant que l’Américain décide de faire un remake de Crime d’amour. Mais comme d’habitude (ne citons que Scarface ou Blow Out pour s’en persuader), De Palma prend le film d’Alain Corneau, , garde ce qui l’a attiré, jette le reste aux orties et met le tout à sa sauce c’est-à -dire dans son univers hitchcockien.
Le scénario initial tournait autour d’un étrange rapport de fascination-domination entre une chef d’entreprise et sa subalterne, un jeu dangereux conduisant au meurtre. De Palma transforme ce duo (Ici Rachel McAdams et Noomi Rapace) en trio avec , la présence accrue de la propre assistante de l’assistante. Avec en prime, l’élève qui dépasse le maître et un »méfiez-vous de l’eau qui dort ». , Il rend le récit à la fois plus moderne (le film se situe désormais à Berlin dans une agence de pub avec une préséance donnée à tous les écrans – caméra de surveillance, Youtube, Skype, smartphone…) et plus sexy, mettant les rapports pervers qu’entretiennent les protagonistes aussi sur le plan sexuel. Le problème, c’est que De Palma semble être resté dans les années 80 : ce qui devrait nous émoustiller semble désormais inoffensif voire ringard. De même, toute la seconde partie , de Passion, tournée dans une sorte de vertige, de distorsion sensorielle entre rêve et réalité – un vrai choix de mise en scène – , est porté par une esthétique une fois de plus datée. Là où le cinéaste transcendait ce qu’il touchait en étant stylistiquement inventif et virtuose, il semble aujourd’hui se parodier lui-même et jouer la surenchère : par exemple,, De Palma, reprend l’effet qu’il avait lui-même crée pour la fin de, Carrie, la scène-choc qui en fait est un rêve, en le déclinant comme des poupées russes encore et encore. Le rêve qui est une réalité qui est un rêve qui est une réalité…
Au petit jeu des ressemblances, la victime est tuée comme dans Pulsions, ces écrans qui »manipulent » étaient déjà au centre de Phantom of Paradise et trouvaient son point culminant dans Snake Eyes et dans Redacted. De Palma reprend aussi son procédé du split-screen, mettant en parallèle deux actions et prenant un malin plaisir à en truquer une des deux (Noomi Rapace ne regarde pas ce qu’on croit qu’elle regarde), la meilleure idée du film. Tout ceci, De Palma l’a déjà fait et en mieux.
Avec tout ça, on en serait presque à préférer le film de Corneau. Là où le français bazardait la question du »qui a tué » (on le sait tout de suite, on le voit) par un passionnant »comment » et surtout »comment échapper à la prison » De Palma se reconcentre sur le coeur d’un vrai thriller : mais le »qui » est d’emblée prévisible et le »comment » finalement bâclé par une providentielle caméra vidéo. Pire, là où Corneau faisait un film amoral en »sauvant » la coupable (profitant même d’un trou de souris juridique pour être certaine à vie de rester libre), De Palma donne une fin prévisible à son récit par l’arrestation programmée de sa coupable après une dernière scène frôlant le grand-guignol. Sulfureux mais pas trop ; un Passion pas vraiment passionnant.
Denis Zorgniotti
Remake de Crime d’amour, le dernier film du français Alain Corneau disparu en 2010, Passion signé de l’américain Brian De Palma marque le retour de celui-ci au thriller fantastique. Un retour plutôt gagnant tant le film s’avère captivant, empilant les rebondissements et les fausses pistes. C’est un jeu cruel et machiavélique de séduction et de manipulation auquel se livrent Christine et sa subalterne Isabelle. Comme dans tout rapport de domination et de fascination qui se respecte, les rôles ne sont jamais durables et fonctionnent d’autant mieux qu’ils ne cessent de se renverser. Si le film s’intitule Passion, c’est bien, parce qu’au-delà des appétits voraces et insatiables du pouvoir et de la réussite sociale, entre aussi en ligne l’affectif. Dès lors, lorsque les sentiments s’emmêlent, et qu’importe leur nature exacte et multiple, les trahisons et autres instrumentalisations deviennent impardonnables, terreaux fertiles de la vengeance. La mise en scène rigoureuse s’accorde parfaitement à l’univers luxueux et privilégié d’une caste de dirigeants – où, pour une fois, les femmes se taillent la part belle – qui, derrière les sourires fabriqués et la complicité affichée, ourdissent les pires machinations. Le réalisateur nous communique cette jouissance et ce plaisir pervers de la mise en place d’un puzzle sophistiqué dans lequel chaque nouvelle pièce laisse entrevoir une image finale différente. Toute la technologie moderne (ordinateurs, portables et tablettes) est mise à contribution pour étayer et nourrir le suspense. Passion devient réellement haletant dans le dernier tiers selon le canevas habituel des thrillers. Plus que jamais, Brian de Palma revendique ici son influence hitchcockienne que la musique un peu trop présente et appuyée de Pino Donaggio et le choix des cadres (escaliers, miroirs, couloirs) contribuent à renforcer. Il manque néanmoins à l’ensemble un surcroît de perversité et de cruauté, ainsi qu’une interprétation moins lissée qui joue trop sur le contraste entre les deux comédiennes, pour le porter à un niveau supérieur, plus en adéquation avec l’exigence du réalisateur.
Patrick Braganti
Passion
Thriller fantastique français, allemand de Brian De Palma
Sortie : 13 février 2013
Durée : 01h41