Ceci est le nouvel album de Christophe., À dire vrai, ceci n’est pas le nouvel album de Christophe. Et puis, en fait, tout bien considéré, ceci est bien un nouvel album de Christophe.
Que les lecteurs de ce billet ne se méprennent pas sur l’état mental de l’auteur de ces lignes : Daniel Bevilacqua (a.k.a Christophe, l’homme des Mots Bleus, des Paradis Perdus, du Dernier des Bevilacqua), le beau bizarre, dandy noctambule et voyageur libre entre variété populaire et expérimentation sonore de haut vol, n’a jamais rien fait pour simplifier la vie de son public. Quarante ans que cela dure, depuis la sortie du séminal Paradis Perdus, où le blondin d’origine italienne avait déjà prouvé qu’il ne crierait pas Aline et ne jouerait pas avec des Marionnettes toute sa vie.
Dans une décennie 70 trop prompte à tomber dans la facilité grand public, l’oiseau de nuit à la voix de sable, avec ou sans Jean-Christophe Jarre, commençait son parcours d’outsider solitaire, de grand mélodiste précurseur des climats électro pop, les oreilles en attente de sons nouveaux qu’il cherche et travaille en autodidacte passionné de blues, de rock et de cinéma, épris d’absolu musical.
Devenu à juste titre artiste-culte que son dernier triptyque d’albums essentiels (Bevilacqua / Comm’si La Terre Penchait / Aimer Ce Que Nous Sommes) n’a fait que brillamment confirmer, Christophe, pourtant peu enclin au coup d’oeil dans le rétroviseur, s’est laissé convaincre de faire paraître cet inattendu Paradis Retrouvé. Un titre-clin d’oeil insistant choisi par son ancien label mais qui définit assez justement l’aspect de malle aux trésors qui attendait patiemment qu’on les exhume au grand jour.
Recueil de treize inédits, maquettes, instrumentaux, premières versions ou projets inaboutis du chanteur (souvent chantés en faux anglais ou sans vraies paroles), Paradis Retrouvé déborde le cadre de simple compilation pour devenir une fascinante porte ouverte sur le laboratoire musical privé d’un artiste fureteur, sur son monde intérieur d’esthète rêveur et obsessionnel, perpétuel concasseur de sons nouveaux.
Principalement axé autour des décennies 70-80 qui voyait le dandy s’enfermer dans les studios et expérimenter à tout va nouvelles consoles et synthétiseurs alors peu usités, le disque agit comme un journal de bord captant au grand jour le chantier grand ouvert d’un créateur défricheur. Jubilatoire moment où l’on a l’impression d’être à ses côtés et l’accompagner dans les ébauches de ce que deviendront l’Italie (Stay Away) ou, Les Tabourets Du Bar (Take A Night) ou l’entendre mêler avec réussite son romantisme limite kitsch avec une proto-électro déviante d’inspiration très Alan Vega (Night Welcome, Carrie).
Chambouleur émotionnel créateur d’un climat captivant, Christophe, avec son instrument unique, sa voix métallique d’oiseau de nuit, renouvelle plus d’une fois le petit miracle d’émouvoir sans crier gare (chavirants Fairlight ou l’Italiano), même en chantant en yaourt (« du pur yop » précise-t-il avec humour). Qu.’importe qu’à l’occasion, certains arrangements ou soli de guitare et saxo datent parfois, l’aspect document d’époque joue à fond et les nombreuses trouvailles sonores ou atmosphériques que l’homme déniche sont bien là (magnifique Hommage à Jean-Michel Desjeunes, blues électronique enluminé de tourneries de violons, rencontre inédite entre John Lee Hooker et Chromatics).
Mieux qu’une halte pour nous faire patienter avant un vrai nouvel album (qui risque de tarder, on est habitués), ce Paradis Retrouvé même incomplet met en joie. Réussir à fasciner avec un matériau ancien et/ou inachevé est la marque des plus grands et à ce jeu-là , ce type est à exemplaire unique. Esthète de la chanson flamboyant entre kitsch et grandeur absolue, à mes yeux, le plus grand artiste français, un geste artistique à lui tout seul,, on suivrait Christophe au bout du monde. Vous venez ?
Franck Rousselot
Christophe – Paradis Retrouvé
Label : Disques Motors / BMG
Date de sortie : 18 mars 2013
1. Silence On Meurt
2. Fairlight
3. Baby The Babe
4. Take A Night
5. Night Welcome
6. Take It
7., Stay Away
8. L’Italiano
9. Carrie
10. Harp Odyssey
11. Hommage à Jean-Michel Desjeunes
12. Same Thing
13., I Sing For…
Interview de Christophe chez lui au sujet de Paradis Retrouvé :