On n’avait pas forcément prêté attention à ce nom de Daughter qui revenait souvent depuis plus d’un an. On s’était ensuite méfié des échos enflammés des gazettes ou de certains sites rendant compte avec ferveur de leurs premiers titres, redoutant une nouvelle hype. Mais la curiosité aidant, on a enfin écouté leur musique. Heureusement.
Coup de foudre immédiat pour leur Wild Youth EP, renouvelé avec cet album attendu. Car ce trio de jeunes gens discrets vient de signer un vrai beau disque, sans doute même un des plus forts et attachants de ce début d’année.
Publié sur le mythique label 4AD, If You Leave donne aussi une nouvelle voix au spleen. Celle, lumineuse, fragile et tranchante de sa chanteuse Elena Tonra. La fille que tout le monde rêverait d’avoir, ou de connaître.
Extraordinaire véhicule émotionnel charriant autant introspection, exaltation, désespoir ou promesses, sa voix est le coeur de cette musique sensible, condensé de folk intimiste et dream pop indépendante au fort tempérament atmosphérique.
On entend déjà certains fâcheux faire la moue et se plaindre du fait que des cohortes de groupes pratiquent déjà trop cette indie pop nocturne sous influence new wave.
En effet, le groupe n’a pas pour ambition de bousculer le langage musical ou de proposer le son du moment. Ses qualités vont même bien au-delà : sans vouloir rien révolutionner mais avec pertinence et délicatesse, le trio réhabilite avec éclat les vertus de la simplicité et de la clarté.
Daughter a réussi l’album que Cat Power ne sait plus faire, que The xx n’a pas su faire, que Bat For Lashes ou Soap&Skin ne savent pas encore faire. Simplicité, intimité, mélancolie et grâce, sous l’ombre tutélaire des séminaux Young Marble Giants.
Une sensibilité non feinte parcourt chaque titre, interprété par Elena Tonra et ses boys, le suisse Igor Haefeli et le français Rémi Aguillela, avec cet art notable d’élaborer un paysage propice au mystère et au recueillement. Un écrin sonore plus riche qu’il n’y paraît, entre guitare basse méditative, tranchant déterminé des percussions et magnétisme des boucles et réverbérations (Still, Human, Amsterdam).
Un tissu musical idéal, entre refuge et menace, pour les tourments privés que portent les textes puissamment habités d’Elena Tonra. Qui, des images de l’enfance (sur l’inaugural EP His Young Heart) aux relations amoureuses douloureuses et au sentiment de désolation (Smother, Lifeforms et le sublime Shallows) révèlent le tempérament d’une artiste qui ne chante pas pour rien : « I am wasted, losing time / I’m a foolish, fragile spine / I sometimes wish I’d stayed inside my mother / Never to come out » (Smother) ou « Well, you can try to forget me / But I won’t let you easy / I’m falling out in the water / I start to sink » (Lifeforms).
Patiemment poli par le groupe qui a soigneusement élaboré l’univers enveloppant, parfois inquiétant mais rarement déprimant de If You Leave, Daughter semble l’héritier naturel du meilleur de la new wave historique, du minimalisme intègre des Young Marble Giants, de l’envoûtement des premiers Cure, du spleen planant d’And Also The Trees.
Avec une grâce constante et un art redoutable pour marier l’exaltation au spleen le plus profond, If You Leave de Daughter devrait vite devenir le bréviaire musical des éternels amoureux – comme votre serviteur – des vertiges doux-amers de la mélancolie et va attirer à ses concerts, apparemment forts, un public grandissant.
Quant à sa charismatique chanteuse, inutile de préciser qu’elle a déjà rejoint le clan choisi de nos voix féminines chéries, aux côtés des Liz Fraser, Tracey Thorn, Hope Sandoval ou Victoria Legrand.
C’est confirmé, c’est vraiment le printemps. Et il est d’ores et déjà intense.
« If you leave when I go
You’ll find me in the shallows
Come out, come out, to the sea my love
And just,
Drown with me, drown with me »
Franck Rousselot
Daughter, – If You Leave
Label : 4AD
Date de sortie : 18 mars 2013
À écouter aussi : Wild Youth EP et His Young Heart remplis de titres dignes de figurer sur l’album.