Physiquement, Baptiste Lalieu est un géant. Un vrai. Un comme on en produit au royaume de Belgique: carré d’épaule et épais de carrure. Bon cette considération n’est pas à proprement parler musicale, mais elle semble peser sur le quotidien du musicien qui tire jusqu’à son pseudonnyme d’un grand arbre échevelé, symbole plus que simplement métaphorique.
Baptiste Lalieu revient pour un troisième petit tour avec un album simplement intitulé Géant, comme d’autres albums avant lui. Secrètement, je suis content que son troisième essai, arrive en France via Pias. Le gros indé lui va bien. Ca c’est pour le préambule façon landerneau, dont toi lecteur tu te moques.
Au hasard d’un Pont des artistes, émission d’Isabelle Dordain sur France Inter, Saule croise le chemin de l’Anglais Charlie Winston. Il ne le sait pas encore mais les deux hommes vont travailler ensemble. L’Anglais pousse le Wallon dans son écriture. Moins de mots, plus de rythme. Le travail d’abattage porte des fruits (mais on pourrait dire aussi ses fruits, puisque l’album est réussi). Exit la vocation purement »rejeton de la nouvelle chanson française » adoubé par Dominique A et emmené en première partie de Bénabar. Ici Saule se réinvente. Il n’oublie rien du passé, non, il ne le renie pas, non. Juste il sort de la »pose » du chanteur français de la nouvelle génération, un peu narquois, beaucoup philsophe, un brin torturé et comique. Il s’assume.
Lalieu écrit comme Dominique A beaucoup, comme Mathieu Boogaerts un peu, mais sautille sur cette nouvelle sortie comme Charlie Winston dont il s’approprie l’univers pop sans le copier. Saule groove sur des paroles tristes qui rappelle ses maîtres. Saule n’a pas peur de convoquer Brassens, ou les vieux amants de Brel. Et c’est une des caractéristiques de tous les albums francophones de cette paire d’années que d’envoyer au diable les idées préconçues sur une certaine histoire de la variété à la française. Granville, ALine, Lescop, la Femme, Mustang, tous affirment des influences qui hier auraient fait sourire ou soupirer. Saule frappe condensé. L’album est emballé en moins des 45 minutes chères à nos années walkman. L’album s’avale et on irait jusqu’à baguenauder gaiement dans les paturages si on ne comprenant pas toutes les paroles.
Oui parce que du côté des textes, le borain de naissance qui conserve sa pointe d’accent même du haut des ventes itunes, ne voit toujours pas la vie en rose. Les textes sont porteurs de sens, d’une vision du monde. C’est peut-être pour ça qu’il les recopie sur la home de son site web. Derrière la bonne humeur musicale, Saule continue de peindre la petite vie de petites gens, dont lui même mi géant, mi vieux, mi chanteur bio – trois mi si je veux, c’est ma critique et ça sonne mieux. Les mamans expliquent la mort aux enfants, les chanteurs sont des monstres de foire, les vieux sont vieux et c’est déjà bien assez douloureux. Comme jadis la madame pipi de son premier album, les morceaux disent quelque chose du monde qui nous entour, vu par la lorgnette du désabusement, du naturalisme.
Comme hier il y a de la mélancolie dans l’oeuvre de Saule, mais elle grince sans doute plus encore que la façade a été ravalée; que le saloon laisse entendre les rires gras des filles de joie autour du piano aguicheur. Parce que derrière cette »enjaillement » de façade, dans les alcôves du disque, se cache des peines, des douleurs, des solitudes et des vieillesses. Que Baptiste Lalieu arrive à conter sans jamais nous plomber.
Un album bien réussi qui enfin n’est plus à vendre comme, »tiens regarde la France ce qu’on sait faire au royaume ». Géant n’est pas rattaché à son terroir, pas plus qu’il n’en est l’illustration, Géant racontre la vie, notre vie, Géant est un album francophone universel. Mais il est chouette aussi.
Denis Verloes
Tracklist
Label: Pias
Date de sortie: 18 mars 2013