Du choquant pornographe Schiele à l’enfant terrible Rimbaud, il n’y avait finalement qu’un pas à franchir pour Xavier Coste., Et c’est une très belle émotion, une très juste tristesse, qu’il nous laisse à la clôture de cette nouvelle biographie. À l’instar de son premier opus sur Schiele, c’est sur la dimension strictement humaine, méconnue peut-être, de Rimbaud, et non sur son oeuvre ou sur sa relation avec son oeuvre, qu’il propose de se pencher.
Scindé en deux parties temporelles distinctes, le roman ouvre tout d’abord sur les plus jeunes années d’Arthur Rimbaud – l’indésirable, comme il propose de le décrire -véritable ambivalence sur pied de 16 ans tout juste, gosse prétentieux aux yeux de l’élite poétique parisienne, mais un pur joyau de talent à ceux de Verlaine. Les pieds le démangent dans sa province natale, son imagination va foisonner au-delà de la ligne d’horizon des champs modestes dans lesquels il fut né, et il trépigne, peine à contenir ses envies de Paris, de bohème, de vie d’artiste. Sa précoce maturité ne fait aucun débat et impressionne mais son arrogance rarement tempérée se retournera plus d’une fois contre son malheureux amant Paul Verlaine. Rimbaud est un homme des extrêmes – dans sa relation avec Verlaine d’abord, qu’il vit de manière théâtrale et conflictuelle, et dans sa carrière, aussi, dont les perspectives croulent sous ses multiples frasques et coups d’éclats. C.’est sans réel succès d’estime, après avoir erré Londres et Paris sans le sou, et le coeur brisé finalement, qu’il abandonne la poésie et quitte la France.
Coste nous plonge ensuite dans les vignettes chaudes de la région d’Harar (actuelle Éthiopie), où ayant abandonné ses intentions poétiques, il se reconvertit dans l’import-export et le trafic d’armes. C.’est une toute autre vie, et Rimbaud est un tout autre homme : à 25 ans maigre et aigri, il accepte le travail comme un substitut à la beauté des mots, comme une résolution, une résolue punition pour s’absoudre des déceptions de son jeune passé. On verrait presque une prophétie dans son »Dormeur du Val » : l’image d’un Rimbaud mort avant l’heure, au terme d’une vie de labeur presque militaire, et à la place de deux plaies rouges dans le flanc, une gangrène injuste et fatale. On le laisse sur un lit d’hôpital à mourir une fin lente, et on referme le livre sur un Verlaine courbé par une tristesse jamais consolée.
Si le dialogue semble être la faiblesse de Coste, qui a parfois tendance à sur-expliquer l’action, son travail sur le personnage de Rimbaud est des plus justes et équilibrés et confirme sa véritable entreprise biographique. On sent l’homme vivre et vibrer sous nos pages, on le sent taper du pied, cogner du poing sur la table ; on l’entend rire de ses éclats saouls, et l’on se fait aussi claquer la joue par son arrogance et son tempérament rarement modéré. On suit sa relation avec Verlaine avec un mélange d’incompréhension et de douleur.
Il y a quelque chose de puissant chez Coste au niveau de l’émotion qu’il s’agit de souligner : une aptitude, irréfutable, à l’empathie, puis à traduire son ressenti, à saisir le moment, choisir le ton, à s’armer de la bonne vignette, et à souligner le tout d’un trait d’artiste.
A 24 ans seulement, et lui aussi aux commandes de son oeuvre de jeunesse, Xavier Coste a compris l’idée même du romanesque et on lui dirait presque merci.
Fabrice Blanchefort
Rimbaud, l’Indésirable
Scénario & Dessin : Xavier Coste
Editeur : Casterman
128 pages – 22.50€¬
Parution : mai 2013