Dans ce livre Marco Mancassola dépeint le quotidien d’un certain nombre de héros ayant marqué de leurs exploits l’histoire fictive des Etats-Unis. Ces grands artisans du rêve américain, réputés invincibles et qui incarnaient jadis la promesse d’un monde arraché aux craintes, mènent désormais une existence sordide et inquiète.
Contrairement à ce que son titre laisse entendre, »La vie sexuelle.. » frappe avant tout par sa tristesse et par l’espèce d’impuissance qui caractérise ses personnages. Car en dépit de son extravagance affichée, la sexualité de nos super-héros n’a rien d’enviable. L’homme-élastique est hanté par la perte de puissance ; Batman se livre avec complaisance à des pratiques masochistes pour satisfaire son orgueil ; Mystique enfin se réfugie derrière une image de star altière pour mieux dissimuler sa peur viscérale du sexe. Autant dire qu’à l’ombre de leur gloire ancienne, ces héros paraissent vulnérables, vaniteux et pathétiques. Comme déchus du Parnasse, ils sont en proie au vieillissement, à la mort, se livrent avec excès aux plaisirs faciles que leur offrent l’argent et la vie mondaine. Et c’est avec la force d’un mémorialiste que Mancassola dépeint leur déchéance. Son roman adopte en effet une composition en »livres » qui sont autant de récit explorant les intimités erratiques de ses personnages. Le romancier prend un soin méticuleux et un plaisir communicatif à explorer l’abyme qui sépare leur vie privée de leur vie publique, objet de malentendus et de malaise. En cela »La vie sexuelle des super-héros » apparaît à bien des égards comme une vertigineuse étude de moeurs et une implacable analyse des peurs de notre société. Le sexe y est agent de plaisir autant que de menace. Dans le livre consacré à Mystique – clé de voûte de l’intrigue policière que tisse habilement Mancassola, en marge des »monographies » consacrées aux super-héros, le sexe a pour évidente fonction de palper les troubles de la solitude moderne et d’ausculter la peur d’être soi-même à laquelle nous confronte le désir. Plus généralement, la peur apparaît dans ce livre sous ses aspects les plus divers : angoisse du terrorisme, du crime, du harcèlement.
Dans un monde livré à l’incertitude, les grands hommes de jadis ont beau jeu de prendre les formes les plus diverses. Le temps des métamorphoses salvatrices est par trop révolu : telle est peut-être la leçon de ce roman où chacun se heurte à l’épreuve du temps et à la nécessaire mise à l’épreuve d’autrui. Le lecteur lui-même en fait l’expérience à travers les figures énigmatiques de Bruce et Dennis de Villa, deux personnages dont l’enquête sert de fil conducteur au récit (magistrale confession centrale, en forme de récit autobiographique).
On plongera donc avec le plus grand intérêt dans cette oeuvre-somme, polymorphe et inventive, qui ausculte et déconstruit nos fantasmes d’héroîsme pour mettre à nu nos peurs et notre besoin ô combien humain d’attachement et d’invention.
Jean-Patrick Géraud
La vie sexuelle des super-héros
Roman de Marco Mancassola
Editions Gallimard, collection Folio
608 pages – 8.70€¬
Parution poche : mai 2012