Choisir 5, 10, 15 ou 20 films, ou plus encore, c’est réduire sa propre vision du cinéma à l’essentiel. C.’est faire des choix difficiles pour faire comprendre au mieux nos goûts et nos sensibilités, sans prétention aucune, sans asséner aucune vérité car nous avons tous des coups de coeur différents, des oeuvres d’art qui s’imposent à nous comme des fulgurances, autrement dit des oeuvres de chevet pour simplifier le principe.
10 films de chevet de Denis Zorgniotti
LE FILS de Jean-Pierre et Luc Dardenne (Belgique / 2002) avec, Olivier Gourmet, Morgan Marrine…
La plus belle des histoires : un formateur retrouve, dans le centre de réinsertion sociale où il enseigne, le jeune adolescent qui a causé la mort de son fils. D’abord effrayé, puis curieux de le connaître, il choisit de le tuer pour se venger mais finalement lui pardonne et lui permet de s’en sortir (c’est aussi beau que John Wayne épargnant Natalie Wood dans »la Prisonnière du désert » sauf que cela se passe en Belgique et non dans le Far West). La mise en scène est haletante, nerveuse (un vrai suspense) et le film prend aux tripes en partant du quotidien le plus cru et d’un fait divers sordide, pour toucher au sublime. A l’image de Olivier Gourmet, le spectateur passe par toutes les émotions. C’est beau à pleurer.
LES IDIOTS de Lars von Trier (Danemark / 1998) avec Jens Albinus, Anne Louise Hassling, Nikolaj Liej Kaas…
Une femme paumée rejoint un groupe de farfelus qui ont décidé de cultiver leur »idiot intérieur » et de libérer leurs inhibitions. Un film extrêmement ambigu sur le conformisme, la normalité et l’autorité. Car finalement, ce groupe qui refuse la norme agit de manière sectaire, niant l’individu avec un ersatz de despote à sa tête., Ce film de Lars Von Trier réalisé, suivant les principes du Dogme 95 (pour un retour à plus de vérité au cinéma), est une vraie expérience cinématographique où la frontière entre fiction et documentaire se trouve invariablement gommé. C’est émotionnellement très fort, on ressent le film à 1000 % ;, à telle enseigne que mes jambes flageolaient à la sortie du cinéma.
FIGHT CLUB de David Fincher (USA / 1999) avec Brad Pitt, Edward Norton, Helena Bonham Carter…
Au final, c’est le même sujet que »les Idiots ». Là au lieu de jouer aux débiles, une société secrète décide de se retrouver pour se battre à mains nues dans des combats de chiffonnier (« quand on est au plus bas, on a plus rien à perdre« ). Le film a été attaqué pour ses scènes violentes qui, au final, ne représentent que 20′ sur 2h10. La violence est ailleurs, dans ce portrait cruel de la société de consommation et de l’apparence, et cette culture de la virilité. On n’est pas très loin d' »Extension du domaine de la lutte » de Houellebecq pour ce même regard désenchanté et cynique. Fincher est aussi en grand manipulateur et sa mise en scène est carrément virtuose.
LE CIEL PEUT ATTENDRE d’Ernst Lubitsch (USA / 1943) avec Don Ameche, Gene Tierney, Charles Coburn…
Il fallait au moins un Lubitsch et j’ai choisi le plus hédoniste : un homme qui vient de mourir, choisit d’aller directement en enfer car toute sa vie, on lui a répété que tout ce qu’il faisait était mal. Le diable (un homme à l’élégance toute aristocratique) lui demande de raconter sa vie pour qu’il puisse juger de la gravité de ces actes. Le film est porteur d’une philosophie simple : soyez vous même, aimez, jouissez sans entrave. Et tout ceci, avec un humour délicieux. Quand le diable lui demande si sa mort a été douloureuse, le héros répond : »non pas du tout. Sur mon lit d’hôpital, j’ai vu en transparence les jolies jambes d’une infirmière et je me suis paisiblement endormi. Et quand je me suis réveillé, tout le monde autour de moi disaient du bien de moi, j’ai alors compris que j’étais mort« . Tout est dit.
LES FRAISES SAUVAGES d’Ingmar Bergman (Suède / 1957) avec Victor Sjöström, Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Max Von Sydow…
Mon Bergman préféré car le plus humain. Un vieux professeur part en voiture pour recevoir un titre honorifique qui couronne toute une vie de travail. En chemin, il prend de jeunes auto-stoppeurs et, stimulé par cette jeunesse, revoit certains épisodes de sa jeunesse. Le film passe du rêve à la réalité, du passé au présent avec la plus grande des fluidité, : il traite de la mémoire des sens (le goût perdu des fraises sauvages de son enfance) et des regrets que l’on peut avoir au soir de sa vie sur ce que l’on a raté. Il y a du Tchekov dans ce film touchant qui a dû influencé Woody Allen pour »Alice » ou »Une Autre femme ». Le tout dans un magnifique noir et blanc.
YI YI d’Edward Yang (Taîwan / 1999) avec Wu Nien Jen, Issei Ogata..
Un film choral qui met en scène tous les membres d’une famille aux différentes étapes de leur vie : comme la découverte du monde pour un jeune garçon, la découverte de l’amour pour une jeune fille, l’envie de repartir à zéro pour un homme de 40 ans qui retrouve son amour de jeunesse. Le film est poignant, tout en étant d’une retenue toute asiatique. Yi Yi Le film offre aussi quelques petits miracles de mise en scène. Attention, comme dommage collatéral, à la fin du film, vous risquez de vouloir adopter un enfant asiatique !
LA HORDE SAUVAGE de Sam Peckinpah (USA / 1968) avec William Holden, Robert Ryan, Ernest Borgnine, Warren Oastes, Ben Johnson…
Vu à neuf ans un peu par erreur (le film est très violent), »la horde sauvage » est devenue mon sujet de maîtrise près de 15 ans plus tard. Peut-être le western définitif, totalement désespéré et montrant un monde (et un genre) en voie de disparition : les héros sont fatigués et le manichéisme est désormais proscrit. Les scènes d’action sont restées célèbres, Sam Peckinpah jouant de la mitraillette dans son montage et son action.
APOCALYPSE NOW de Francis Ford Coppola (USA / 1979) avec Martin Sheen, Marlon Brando, Robert Duvall…
Il aurait pu s’appeler »Voyage au bout de l’enfer » mais c’était déjà pris (un autre grand film d’ailleurs). Un voyage initiatique en pleine guerre du Viet-Nam pour un groupe de soldats chargé de tuer un colonel américain devenu fou (« comme donner des excès de vitesse lors des 500 miles d’Indianapolis » , dit Martin Sheen). Un film dantesque, troublant, fascinant sur la folie et la complexité de l’âme humaine. A ne jamais plus entendre »la chevauchée de la Walkyrie » de Wagner ou »The end » des Doors de la même manière.
LADY CHATTERLEY de Pascale Ferran (France / 2006) avec Marina Hands, Jean-Louis Coulloch, Hippolyte Girardot…
Une bourgeoise mariée à un mari infirme devient la maîtresse du garde-chasse bourru du domaine. Le film raconte l’éveil des sens d’une femme coincée dans son corps, ses vêtements, sa classe sociale. Pascale Ferran examine cette transformation, à travers cinq scènes d’amour qui expriment le rapprochement progressif entre ces deux personnes par la libération des corps. Le film est aussi un hymne à la nature et exprime beaucoup, sans pathos, dans une retenue sensible.
NOUS NOUS SOMMES TANT AIMES d’Ettore Scola (Italie / 1975) avec Vittorio Gassman, Stefania Sandrelli, Nino Manfredi…
Il fallait au moins un film italien, origine oblige. J’aurais pu prendre des Fellini, des Antonioni, »Le Conformiste » »Padre Padrone » »Journal Intime » et tellement d’autres. J’ai choisi celui-ci car il allie sentimentalisme et regard acide, mélodrame et farce, dans une histoire de triangle amoureux qui court sur 30 ans en parallèle de la transformation de la société italienne. Un bon résumé, d’autant plus que Scola rend hommage aussi au cinéma italien, du Néo-réalisme à Antonioni. Et puis, Nino, Vittorio et la belle Stefania, cela ne se refuse pas, non ?
je pense que j’aurais pu mettre aussi LES IDIOTS de Lars von Trier, mais comme je ne l’ai vu qu’une fois et en garde un souvenir confus, j’attendrai peut-être de le revoir pour vérifier si je reste sur ma première impression.
Belle liste de choix qui auraient pu figurer dans mon Top 20, hormis Le Fils, pas mon film des Dardenne préféré, j’avoue.
Pas grave, bravo pour Fincher, Scola, Lubitsch (encore Gene Tierney!) et Yi Yi, merveille du ciné asiatique ;-)