A l’image du montage de meubles du géant suédois dont il est question dans le titre du bouquin, le premier roman de Mister Puértolas s’avère riche en surprises et rebondissements, avec en revanche une manière hilarante d’évoquer des questions politico-sociales cruciales et moches. Ce qui n’est pas le cas quand vous n’avez toujours pas achevé de monter cette foutue commode Kürstple au bout de cinq heures d’énervement.
Encore une belle idée des éditions du Dilettante de proposer en cette rentrée littéraire toujours aussi morose un roman suffisamment loufoque et délirant pour nous faire glousser tout au long de ces pages farcies de bons mots et de situations géniales. En cause, le personnage principal, Ajatashatru Lavash Patel (qu’il faut prononcer »j’attache ta charrue, la vache » évidemment, vous le saviez tous…) et ses escapades rocambolesques.
Pitch de départ : un modeste aller/retour en avion d’ Inde à Paris, au pays des hypermarchés Ikéa pour s’offrir un lit à clous idéal pour exercer sa fonction de fakir professionnel. Avec rien en poche (seulement un faux billet de 100€¬ avec une seule face imprimée) et beaucoup d’idées de lascars, notre homme va pourtant pas mal voyager dans l’Europe Occidentale (en armoire, en camion…) et découvrir les vies moins rocambolesques que la sienne des réfugiés, des clandestins et des petites gens prêtes à tout pour vivre avec dignité.
A l’heure d’une politique migratoire douteuse, où les minorités et nécessiteux en bavent plus que de raison, le thème central de ce premier essai parfaitement réussi est une vraie réflexion, sous ses dehors de conte de fée un peu désabusé, sur les relations humaines et internationales dans un contexte de crise économique. Ni plus ni moins. Car l’Indien ne se contentera pas de se retrouver dans un magasin Ikéa faute de logement pour un soir, mais va se retrouver au milieu de réfugiés soudanais en quête de l’Eldorado britannique, puis au milieu d’une Libye post-dictature avec son armée au pouvoir et peu humaniste, avec des détours un peu partout où il se découvrira autant écrivain public que puissamment désireux de faire le bien autour de lui.
L’escroc à la petite semaine devenu l’humaniste proche de l’Autre et de ses problèmes : le fossé est large, l’auteur s’y engouffre avec parfois un peu de consensualité trop facile, où effectivement le lecteur ne peut que culpabiliser du fait qu’il ne fait pas grand chose pour que le monde tourne meilleur. Mais qu’importe, c’est le côté barré et foisonnant de ce livre qui emporte largement l’adhésion, car Puértolas le faiseur de mots a plus d’un tour dans son sac, et suffisamment de panache pour se faire remarquer dès son entrée en littérature française. Soyons prévisibles à notre tour également : un auteur à suivre, évidemment.
Jean-François Lahorgue
L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté dans une armoire Ikéa
Roman de Romain Puértolas
Editeur : Le Dilettante
254 pages – 20 €¬ environ
Date de parution : août 2013