« Et de son pas tranquille de cavalier solitaire sorti de nulle part, le dénommé McCombs, prénom Cass, vint illuminer cet automne musical menaçant autrement d’être maussade ».
Dix ans que ça dure, dix petites années que l’énigmatique song writer venu de Baltimore trace en outsider discret sa petite route de musicien hier isolé mais de plus en plus fédérateur au fur et à mesure des albums.
Artiste insaisissable autant que productif (sept disques en une décennie, dont le glorieux doublé Wit’s End et Humor Risk l’année 2011), celui qui roula sa bosse en tant que guitariste acompagnateur d’une bonne partie du gotha de l’indie rock (Andrew Bird, Arcade Fire, Ariel Pink’s Haunted Graffiti, Iron & Wine et tant d’autres) développe en créateur imprévisible le plus personnel des parcours. Autant folk singer, baladin éthéré, rocker alternatif ou crooner atypique, le musicien atteint sur sa dernière livraison délivrée par l’excellent label Domino l’aboutissement de son style aérien et buissonnier.
Rayonnante et intemporelle, la virée offerte par Big Wheel And Others s’épanouit en liberté tout le long d’un double album patchwork mais réussi (oui, oui) qui rejoint ainsi le clan peu fréquenté des doubles albums convaincants, fait fort rare pour être relevé.
Tissée de folk songs, hymnes rock, titres mâtinés de country ou de blues, ballades intimistes ou instrumentaux rêveurs, la « grande roue » de l’ami Cass s’avère la plus accueillante des adresses musicales à fréquenter cet automne. Parsemée d’extraits sonores du fameux documentaire Sean de Ralph Arlyck, portrait d’un jeune enfant de hippies à l’éducation libre, sa généreuse auberge espagnole prend des airs de bande-son de road movie, réhabilitant avec luminosité l’esprit de la contre-culture américaine aux aspirations libertaires qui fut à l’oeuvre durant les années 70.
À la fois inscrit dans la tradition de l’artiste folk indépendant et prolixe (de Bob Dylan en passant par Tim Buckley ou Tim Hardin) que celle de ses héritiers modernes plus isolés (Elliott Smith, Vic Chestnutt) notre song writer muti-cartes, épaulé d’une production solide et chaloupée, tire son chapeau à la liberté d’esprit d’une décennie inégalée.
Salue ses envies de révolution tranquille (The Burning Of The Temple 2012, Morning Star), cisèle de délicates ballades folk intemporelles (Angel Blood aux slide guitars de rêve, cristalline Dealing), se montre d’humeur plus méditative lors de titres aux long cours (Home On The Range) ou habille de rock plus dur ses envies contestataires (Satan Is My Toy, Joe Murder).
Et signe surtout parmi les plus immédiats et évidents des refrains entendus cette année : solaire There Can Be Only One que Paul Simon ou Jonathan Richman auraient pu signer et une Brighter! d’exception. Une lumineuse et fraternelle ballade à retrouver deux fois, d’abord entonnée de sa voix chaude proche de celle de Lloyd Cole ou habillée de la voix émouvante de l’actrice Karen Black, autre figure emblématique de la créativité des seventies et amie récemment disparue à qui McCombs a dédié l’album.
Une décennie certes envolée mais dont la liberté d’inspiration n’en continue pas moins de nourrir la planète indie et plus particulièrement, le parcours atypique de notre musicien itinérant, hobo moderne décalé mais définitivement, attachant.
Au sortir de ce Big Wheel And Others roboratif que chaque nouvelle écoute rend plus proche, on n’en sait pas vraiment plus sur le mystérieux Mr. Cass. Mais on n’a qu’une envie : s’y plonger à nouveau. La marque des disques qui devraient vous accompagner longtemps.
Franck Rousselot
Cass McCombs – Big Wheel And Others
Label : Domino Records
Sortie le lundi 14 octobre 2013,