A Bananaville où le consul français a perdu le contrôle d’une bande armée, la nuit tombe. Cinq personnes sont retenues au consulat ; l’une d’entre elles devra être désignée pour accompagner seule les rebelles dans leur retraite. A partir de cet argument minimal, Henri-Frédéric Blanc déploie une satire impertinente et grandiose. Chacun des personnages de Fenêtre sur jungle incarne en effet, à sa manière, un visage de l’Occident dans sa relation au continent africain. Marmion est un humaniste condescendant, entomologiste frustré et manieur de beaux concepts ; Séverot un froid calculateur, entrepreneur cynique ; le consul est taciturne et inutile ; sa femme est une bourgeoise matérialiste rêvant de dévotion puante et de charité… Tour à tour ces êtres lâches, méprisants et compromis se livrent au jeu de la manipulation langagière afin d’échapper au triste sort que les rebelles entendent réserver à l’otage élu. L’exercice est féroce, mais jubilatoire ; car la parole est une arme retorse, qui révèle autant qu’elle dissimule, et Henri-Frédéric Blanc traque avec une rare virtuosité les failles de ses personnages derrière les lieux communs et sentiers balisés de leurs discours : un tel en abuse, qui sera démasqué par ses adversaires. Au royaume des animaux civilisés, l’esprit le dispute à la force ; d’où le plaisir que l’on éprouve à voir ces animaux raisonnables s’entre-déchirer pour sauver leur peau.
Admirable est l’aisance avec laquelle le romancier manie l’humour noir comme le trait d’esprit, la satire féroce autant que l’ironie philosophe ; autant de variations qui font la richesse et l’originalité de son style, héritier à la fois de Voltaire et Céline pour leur anticolonialisme mordant, mais sans le progressisme un peu naîf du premier ni la tendance du second à cultiver l’invective et la surenchère ; car ici la critique passe harmonieusement d’une main à l’autre et tout est affaire de dialogues (notons que la peinture d’une caste de diplomates inutiles évoque aussi, à maints égards, la prose d’Albert Cohen). C’est avant tout au travers de ses personnages que l’auteur suggère, plus qu’il ne les exprime, ses inimitiés et ses inquiétudes. A ce titre Fenêtre sur jungle constitue une trame expérimentale singulière, sorte de huis clos empirique où la médiocrité des personnages est souvent rachetée par l’habileté d’une formule ou par la lucidité d’un discours ; où la vérité surgit donc de manière inattendue, provisoire.
Au lecteur de la guetter.
Dans la jungle de l’éloquence et des possibles romanesques, la vérité est éphémère ; rares sont les auteurs qui savent en esquisser si finement les nuances.
Jean-Patrick Géraud
Fenêtre sur jungle
Roman de Henri-Frédéric Blanc
Editions Flammarion
178 pages
Parution : 1999
A Monsieur Frédéric Blanc… Je suis un passionné de théâtre, acteur amateur.. et, au sein de la troupe du portail sud à Chartres, je viens de me voir confier le rôle de Séverot, que j’adore… spectacle prévu pour le mois de juin. Bravo Mr Blanc, votre pièce, livre, est remarquable!!