Sohail et Maya, un frère et une soeur très proches, sont séparés une première fois quand la guerre pour l’indépendance du Bengladesh éclate, Sohail prend les armes pour libérer son pays de l’emprise pakistanaise et Maya rejoint les services sanitaires pour soigner les blessés et notamment les femmes victimes de maltraitances et de viols de la part des soldats ennemis. Elle les aide à se reconstruire et souvent à se débarrasser de l’enfant ennemi qu’elles portent et que personne ne veut, pas plus le chef charismatique de l’Etat en construction, que la société en général et que les familles en particulier.
Le roman de Tahmima Anam raconte le chemin de ce frère et de cette soeur que les événements ont séparés, ces deux routes parallèles qui se sont brusquement écartées après la fin de la guerre d’indépendance et qui se rejoignent quand la femme de Sohail décède et que Maya retrouve son frère pour l’accompagner dans son deuil. En 1977, Maya est partie brusquement pour un long périple et finalement se fixer dans un dispensaire où elle a aidé les femmes victimes de grossesses à répétition et souvent très seules au moment de l’accouchement. Elle sauve ainsi de nombreuses vies pour compenser, pense-t-elle, celles qu’elle a détruites en aidant les femmes violées par l’ennemi à avorter. Quand elle rentre à Dacca, en 1984, elle ne reconnait pas son frère qui a sombré dans un islamisme ultra rigoriste totalement contraire à leur mode de vie antérieur et fondamentalement opposé à sa lutte pour l’émancipation des femmes. Elle essaie alors de le sauver de cet enferment dans une posture religieuse obscurantiste mais il se réfugie dans les contraintes que lui impose sa pratique et les missions qui lui sont confiées. Maya pense pouvoir sauver la famille de l’enfermement dans la religion en prenant en charge l’éducation du fils attardé de son frère mais celui-ci l’interne dans une madrasa où il est mal traité. Le frère se réfugie dans une religion qui relègue les femmes au rang des utilités reproductrices alors que la soeur livre un véritable combat contre les hommes qui détruisent les femmes sous des prétextes les plus fallacieux. » Au début, tout va bien, mais vient un jour où leur égo se fragilise et vous devez passer le reste de votre vie à les serrer dans vos bras pour qu’ils se sentent mieux. Et là c’est votre vie à vous qui devient merdique « .
Ce roman c’est l’histoire de la fondation du Bangladesh, un pays neuf, nouveau, révolutionnaire, qui a combattu la tutelle du Pakistan et qui s’est transformé en une dictature religieuse encore plus contraignante que l’occupant pakistanais. Cette histoire est racontée en deux temps qui se confondent souvent : au début des années 1970, après la victoire, quand les combattants sont rentrés victorieux mais beaucoup moins nombreux qu’au départ, souvent blessés et toujours très marqués dans leur être par les atrocités qu’ils ont vécues ; et vers les années 1984 et 1985 quand Maya est revenue à Dacca après le décès de l’épouse de Sohail. Tout a basculé dans la guerre, les amis ne sont plus comme avant, la ville a été transformée. Maya veut reprendre la lutte en écrivant dans un journal révolutionnaire alors que le frère digère les horreurs de la guerre dans la lecture du Coran. Toute la difficulté de construire une nation unie avec un peuple bi ethnique fortement marqué par deux religions très opposées.
Comment reconstruire un peuple soudé avec des êtres détruits par les horreurs de la guerre, stigmatisés par le poids de la culpabilité, Sohail n’a pas tué que des ennemis, Maya a participé à de nombreux avortements. Ils sont à l’image de ce peuple à la dérive que seuls la religion, la dictature, l’exil et la recherche de l’argent frivole semblent pouvoir guider. Ces deux destinées, ces deux combats contraires, que tout oppose, pourront peut-être retrouver une route commune, un avenir possible quand tout ce qui a été tu sera dit, quand justice sera faite et qu’on pourra pardonner ou condamner.
Pour sûr un livre intéressant qui évoque de très belle manière, dans une construction ambitieuse, l’accouchement d’un pays nouveau à travers la destinée de ce frère et de cette soeur, seul regret, le texte qui s’égare parfois dans des péripéties qui ne concernent pas vraiment le sujet fondamental du livre et qui rendent ainsi le récit un peu lourd et un peu brouillon. l’auteure aurait gagné à rester plus strictement concentrée sur son sujet principal, la construction littéraire du texte et la forme parabolique du récit suffisaient à constituer l’originalité de ce roman sans y ajouter quelques digressions plus encombrantes qu’enrichissantes.
Denis Billamboz
Un bon musulman
Roman de Tahmima Anam
Sophie Bastide-Foltz (Traduction)
Editeur : Actes Sud
280 pages – 22,90€¬
Parution : 31 décembre 2011