Adapté du spectacle de théâtre qui rencontra un gros succès, Les Garçons et Guillaume, à table, ! signe également le premier passage derrière la caméra de son auteur Guillaume Gallienne, artiste multiple, comédien, sociétaire de la Comédie-Française et animateur de radio. Avant d’obtenir la reconnaissance de ses pairs et du public, il lui aura fallu s’affranchir de sa famille, gagner en confiance et résoudre ses problèmes d’identité. Cette comédie de genres met en scène en définitive la trajectoire d’un adolescent et d’un jeune homme se découvrant hétérosexuel, alors que sa famille et son entourage l’avaient en quelque sorte façonné comme homosexuel. Troisième enfant d’une famille de hauts-bourgeois, il incarne à son corps défendant la déception de sa mère qui rêvait d’une fille et, par conséquent, il finit par s’assimiler comme tel, imitant à la perfection sa mère, se travestissant au grand dam de son père et de ses deux frères, sportifs et virils. Guillaume se sent alors femme et trouve ainsi logique de rejouer Sissi dans sa chambre et de tomber amoureux d’un garçon.
Le film se présente comme une succession de saynètes, : Guillaume en Espagne, dans une pension anglaise, dans un club allemand de remise en forme, dans une boite gay. Avec comme pygmalion, conseillère et directrice de conscience, sa mère (que Guillaume Gallienne interprète lui-même). Derrière l’humour vachard et l’autodérision salvatrice pointe la douleur de celui clairement désigné comme le vilain petit canard boiteux. C.’est un des bonheurs du film de rester dans la légèreté, d’être parfois grinçant et acide sans tomber dans la méchanceté ni le ressentiment. Le réalisateur se joue des clichés avec finesse, aussi bien dans la station balnéaire au sud de l’Espagne (nul besoin de sous-titres pour saisir les propos des autochtones) qu’au coeur de l’établissement britannique (des séquences dignes de Maurice de James Ivory), jusqu’à la peinture du milieu gay.
Dans les interstices de la comédie, on perçoit combien le jeune Guillaume, stigmatisé et mis à l’index, au physique ingrat et à la voix aigüe, a dû en baver pour s’extirper d’un milieu et gagner sa place. Peut-être manque-t-il au film le détail du cheminement vers le métier de comédien et les étapes de la construction. Bel éloge de toutes les différences, troublant sur les questions du genre et des théorèmes naturalistes (on ne nait ni homme ni femme, on devient l’un ou l’autre), le film offre aussi de forts moments d’émotion lorsqu’il montre l’hommage pudique d’un fils à sa mère, et plus généralement à toutes les femmes. Il y a chez cet homme qui s’est sauvé par l’art et l’exposition frontale – dont on soupçonne quelle montagne à gravir elle a été pour lui – quelque chose d’audacieux, de décoiffant et de profondément attachant. Cette mise à nu de la part d’un homme assumant sa part de féminité, sans exhibitionnisme ni nombrilisme forcené (à la différence de Valéria Bruni-Tedeschi, par exemple), touche par sa sincérité et son humour revigorant.
Patrick Braganti
Les Garçons et Guillaume, à table, !
Comédie française de Guillaume Gallienne
Sortie : 20 novembre 2013
Durée : 01h25