Sous la direction du cinéaste Bertrand Tavernier, les Editions Actes Sud viennent de se lancer dans la traduction d’une série de best-sellers américains racontant » la conquête de l’Ouest » dont le célèbre roman d’Ernest Haycox, » Des clairons dans l’après-midi » constitue le premier volet avec » Terreur Apache » de William Riley Burnett. Mais ces titres, quoique non traduits dans notre langue jusque-là , vous disent pourtant quelque chose… Normal. Ils ont inspiré les scénarios de westerns devenus eux aussi cultes, où s’affrontent sans relâche Indiens et Américains.
Ernest Haycox demeure bien l’un des plus grands conteurs du Far West. Sa prose en a ébloui plus d’un, de Gertrude Stein au grand Hemingway, qui avouait acheter le journal » The Post » à chaque fois qu’un épisode ou une nouvelle d’Haycox s’y trouvait publié. » Des clairons dans l’après-midi » (1944) compte ainsi parmi ses plus fameuses réussites, et a donc été adapté au cinéma par Roy Rowland, sous le titre certes moins poétique » Des clairons sonnent la charge » (1952). Signalons enfin que c’est également la plume d’Haycox qui se trouve à l’origine de » La Chevauchée fantastique » de John Ford (1939), interprété par John Wayne.
Pour tout dire, » Des clairons dans l’après-midi » est un grand livre qui s’inscrit de plain-pied dans la tradition littéraire américaine. l’écriture est sobre, limpide. Ernest Haycox y raconte l’évolution des Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle, à l’heure où le pays agresse sans cesse les tribus indiennes de l’Ouest, avide de richesses, de terres et de grands espaces à investir. C.’est donc l’histoire de la création de ce pays. Sa soif expansionniste. Son non-respect des traités signés avec les chefs Apaches ou Sioux, et les massacres qu’il perpétue.
Ce regard d’historien se trouve enrichit d’une grande connaissance du sol américain, de ses paysages, de son climat. En cela » Des clairons dans l’après-midi » offre de superbes descriptions des espaces de l’Ouest, tantôt désertiques et arides, avec ses nuages de poussière et ses plaines s’étendant à perte de vue ; tantôt glacials, lorsque l’hiver approche et que le blizzard s’abat précipitamment sur les pionniers et les soldats tenant les postes des frontières.
Car » Des clairons dans l’après-midi » se situe aux lisières de territoires restés jusque-là inexplorés par les Américains. Tout débute en effet dans un coin paumé du Dakota, où la jeune et belle Josephine Russell fait la connaissance de Kern Shafter, un gentleman pour le moins énigmatique qui veille sur elle lors de leur voyage en direction de l’Ouest. Une fois arrivés à destination, leurs chemins se séparent pour aussitôt se retrouver : Shafter s’engage dans l’Armée, dans la 7eme de cavalerie qui stationne à côté de la ville de Bismark, où vit justement le père de Josephine.
A cette intrigue sentimentale, dans laquelle Ernest Haycox s’avère être un fin psychologue, analysant brillamment les sentiments complexes et les tensions qui animent nos deux personnages dans leur mutuelle séduction, se greffent des histoires de rivalités et de vengeance au sein même du 7eme de cavalerie que Shafter vient d’intégrer. D.’une part il y a son bizutage, lors duquel il doit affirmer sa force et sa ruse afin de gagner le respect des autres soldats. D.’autre part, il y a une malencontreuse rencontre qui le replonge dans les tourments d’un passé tumultueux : il retombe en effet sur son ennemi juré, Edward Garnett, qu’il avait connu d’antan, dans l’Armée, et qui avait alors séduit dans son dos la femme qu’il aimait. Le noeud de l’intrigue se resserre encore lorsque l’on apprend que Garnett, coureur invétéré, a désormais des vues sur la jeune Josephine.
Mais » Des clairons dans l’après-midi » c’est avant tout un roman de guerre. Ernest Haycox y décrit minutieusement la vie du régiment, la camaraderie entre soldats, les différents clairons qui viennent ponctuer les journées en signalant les tâches à accomplir, les enjeux politiques sous-jacents à la conquête de l’Ouest, les rapports de force entre les gradés et les généraux. Le roman se construit dans l’attente d’une campagne contre les Indiens. l’impulsif général Custer, ancien héros de la Guerre de Sécession, va tout faire pour retrouver sa gloire passée et lancer la 7eme de cavalerie dans une spectaculaire expédition contre les Sioux. Paralysée sur ses bases lors d’un hiver polaire, la 7eme va finalement pouvoir partir en campagne au printemps. C.’est elle qui se trouvera alors en plein coeur de la plus célèbre et cruelle bataille des guerres indiennes : celle de Little Big Horn.
François Salmeron
Des clairons dans l’après-midi
roman d’Ernest Haycox
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch
Editions Actes Sud
368 pages, 23 Euros
Sortie : 6 novembre 2013