Dans un pays nordique non cité, un officier supérieur iranien, demandeur d’asile, rencontre lors d’un interrogatoire une femme qu’il a connu, sans qu’elle le sache, dans les prisons des ayatollahs. Il était chargé de comprendre comment elle pouvait résister à toutes les tortures et, si éventuellement, elle ne bénéficiait pas de la complicité de certains de ses gardiens. Lors de cet ultime entretien qui décidera de son accueil dans ce pays d’asile, elle est chargée de jouer le rôle de l’interprète. Se noue ainsi une relation complexe qui réunit un complice des tortionnaires et la victime la plus coriace de ces abominables gardiens.
Le colonel, jeune soldat brillant et héroîque de la guerre contre l’Irak, connait une carrière fulgurante qui le conduit dans le saint des saints auprès du » Commandeur » l’ayatollah suprême, pour accomplir des missions de plus en plus stratégiques et de plus en plus secrètes. Mais, quand le » Commandeur » en personne lui demande de devenir le chef de sa garde personnelle, il refuse, il ne gravira pas un échelon supplémentaire dans l’horreur, il a déjà travaillé à la restructuration des prisons, il ne veut pas franchir ce nouveau palier en organisant l’élimination discrète et brutale des opposants. Sous la pression de sa femme, grande scientifique, résistante à toutes les pressions du régime théocratique, il planifie son exil après avoir préparé celui de la détenue la plus sévèrement torturée de la célèbre geôle de Devine où sont rassemblés les prisonniers politiques jugés les plus dangereux.
Dans ce texte à deux voix dense, intense, écrit dans une langue vive, rapide, percutante, Fariba Hachtroudi réunit un duo dont les deux parties ne devraient que se détester et s’agonir mais qui finalement, dans un contexte étranger, presque hostile, arrivent à mettre en commun l’horreur qui les a fait se rencontrer. Le colonel est follement amoureux de la femme qu’il a laissée au pays et qui porte le même non que l’interprète, alors il demande à cette dernière d’intercéder auprès de sa femme pour qu’elle lui pardonne son passé et sa complicité même si elle était passive. Vima l’épouse, Vima la prisonnière torturée, se fondent alors en un jeu de double, de dédoublement, de jalousie, de complicité »
Ce texte, d’une très forte intensité dramatique et émotionnelle, dresse, en quelques pages un portrait décapant du régime des ayatollahs, du sort de ceux qui ne veulent pas les suivre et de la condition de ceux qui ont choisi l’exil où ceux qui n’étaient pas du même côté de la barrière finissent par se comprendre car ils ont connu ce que les mots ne peuvent pas faire admettre aux autres. Ce récit pourrait être aussi un grand roman d’amour mais c’est plutôt un livre qui parle de l’amour comme relation entre les femmes et les hommes et comme moyen de parvenir à ses fins. Il oppose le cynisme froid du scientifique qui ne juge que les faits à la chaleur enflammée du poète qui ne voit que les intentions et les sentiments. Tout un discours sur la dualité entre le mathématicien et le poète, entre le calcul objectif et les sentiments subjectifs, entre la raison et la passion, entre le cerveau et le coeur. Une recherche sur la nature humaine et ses raisons d’agir même dans les démarches les plus odieuses.
Un roman court pour un très grand texte qui démontre une fois de plus que quantité n’est pas forcément qualité, que l’espoir n’est jamais tout à fait mort, que personne ne détient seul toute la vérité et beaucoup d’autres choses encore comme cette pensée qui pourraient évoquer les grands philosophes orientaux : » « les vraies rencontres ne sont qu’instants, magie fugace que l’on appelle bonheur pour donner sens à ce terme « .
Denis Billamboz
Le Colonel et l’appât 455
roman de Fariba Hachtroudi
Editions Albim Michel
192 pages – 16€¬
Parution : 3 janvier 2014