Comment donner à son sort une tournure acceptable ? En devenant une idole sportive, et en croyant ainsi s’élever au-dessus de sa condition. C.’est ce à quoi s’emploie Turambo, jeune homme dont le village d’origine, Turambo, est balayé par une crue et qu’il est contraint de quitter en compagnie de sa famille, misérable, de son père, de sa mère et de sa tante Rokaya ainsi que de son oncle Mekki, devenu chef de famille en raison de la disparition constatée de son père, gueule cassée de la Grande Guerre. Ces derniers parviennent à Graba, ghetto proche de Sidi Bel Abbes.
Le jeune Turambo, dont le véritable prénom, Amayas sera révélé à la fin du roman, se lance dans la vie sociale. Il apprend avec un nommé Sid Roho le métier de cireur de chaussures. A cette précision près qu’il cire les chaussures des notables, des militaires, des colons européens, ce qui le rappelle à son état d’indigène, d’araberbère, selon le néologisme inventé par l’auteur du roman.
Dans ce cadre, celui de l’Algérie de l’entre-deux-guerres, il est très difficile pour un araberbère de s’imposer : il reste le sport de haut niveau. Turambo, dont certains ont constaté la puissance terrible de son poing gauche, apprend la boxe. Il participe aux compétitions des départements français d’Algérie. Il murit, devient homme en découvrant le sentiment amoureux avec Nina, l’amour physique avec Aîda, prostituée officiant dans une maison close d’Oran, et enfin avec Irène, fille d’un ancien champion de boxe, dont il est réellement épris au plein sens du terme. A travers cette évolution dans le milieu sportif, marqué par le cynisme, le business, le sens exclusif des affaires, il découvre le monde des Européens, les réceptions mondaines. Pourtant, on lui rappelle, brutalement, sa condition d’origine
» Il y en a qui ont réussi, parmi les nôtres. Des médecins, des avocats, des hommes d’affaire.
– Ah oui ! Ecarte tes oeillères, mon gars. Vise-moi ces masses qui gueusent autour de toi. Tes héros n’ont même pas droit à la citoyenneté. C.’est notre pays, la terre de nos ancêtres, et on nous traite en étranger et en esclaves ramenés des savanes. (« ) J.’ai vu un caîd révéré dans sa tribu se faire traiter de bougnoule par un simple guichetier blanc. Il faut savoir faire la part des choses, Turambo. Les évidences crèvent les yeux. Tu as beau les maquiller, leur vérité transperce leur camouflage » »
En arrière-plan de cette tentative de Turambo de s’arracher à la fatalité, il y a la description de cette Algérie des années 20-30, de cet état des choses : ces injustices, ces écarts entre les communautés. A tel point que Turambo, homme peu politisé, reçoit la visite de Ferhat Abbas avant un combat. Ce dernier lui souligne la nécessité de gagner ce combat : » Demain, nous voulons avoir notre champion d’Afrique du Nord pour prouver au monde que nous existons « . Turambo ne comprend guère le sens des propos de Ferhat Abbas, ni ses allusions à ses activités militantes, ne connaît pas l’existence de l’Amicale des étudiants musulmans, car il n’a pas été à l’école en ne sait pas lire.
Tout est dans cet aveu de Turambo, qui sombre à la fin du livre en prison car il a tué un partenaire de combat accidentellement. Il est en proie à de multiples interrogations durant son long séjour au bagne : » Sais-tu pourquoi nous n’incarnons plus que nos vieux démons ? C.’est parce que les anges sont morts de nos blessures. »
Stéphane Bret
Les anges meurent de nos blessures
Roman de Yasmina Khadra
Editiosn Julliard
408 pages – 21€¬
Parution : août 2013