Le sentiment d’écouter un classique immédiat… Telle est l’impression qui préside dès la première écoute de ce nouvel album impressionnant de Damien Jurado.
Ce disque du trop discret folk singer s’impose comme le premier « must have » de cette nouvelle année et n’étonnera de sa part que les malheureux qui ont bêtement négligé l’impeccable discographie de cet artiste très doué.
Avec Brothers And Sisters Of The Eternals Son, plus aucune excuse pour passer à côté de celui qui fut longtemps jugé artisan folk dans l’ombre des Bill Callahan, Mark Linkous ou Will Oldham. Ce onzième album rayonnant est en fait, après Saint Bartlett (2010) et Maraqopa (2012), la toute dernière pièce d’un triptyque artistique ouvert depuis sa rencontre avec le producteur inventif Richard Swift, fidèle metteur en scène sonore qui sertit avec une dextérité de joaillier les bijoux mélodiques de Jurado à coups d’arrangements somptueux. Une vraie paire gagnante qui procure ce souffle épique et enflammé à la musique à la fois libre et assez référencée de l’américain, qui lui manquait sans doute avant.
Bâti autour du concept mystérieux et science-fictionesque d’une communauté religieuse attendant le retour du messie sur terre à bord d’un vaisseau spatial, Damien Jurado déploie avec une belle intemporalité un fascinant théâtre musical d’Americana mystique et hantée, évocateur autant des obsessions religieuses de son pays (et les siennes propres) que de son histoire musicale.
Celui qui avoue « avoir passé trop de temps à être quelqu’un qu’il n’était pas », épaulé de son George Martin ou Nigel Godrich personnel, se fait envoûtant passeur de sons et, perpétue en connaisseur amoureux l’esprit d’un certain eden musical atteint dans les années 70, entre effluves psychédéliques et parfums boisés, faisant même une infernale concurrence aux récents rénovateurs du genre, Jonathan Wilson ou Devendra Banhart en tête.
Un song writing démoniaque (Magic Number, Silver Donna, au hasard), une multitude d’influences qui vont de la pop (Retun To Maraqopa) au jazz ou au tropicalisme (Silver Timothy, rencontre inédite entre Canned Heart et Os Mutantes ou Jorge Ben). Et se rejoignent tous autour du tronc folk, dont les pères fondateurs se révèlent bien être Nick Drake et le Neil Young, période Crosby, Stills, Nash & Young : en témoignent les somptueuses ballades Metallic Cloud ou Silver Joy, irréelles de beauté.
Le plus beau tour de force de cet album lumineux, magique et mystérieux à la fois (enregistré en deux petits jours et demi, en passant) est que l’évidente culture musicale qui préside à son élaboration ne tourne jamais à la pédanterie de « ceux qui savent ».
Une qualité qui n’empêchera pas l’auditeur de base porteur d’une paire d’oreilles en bon état de marche de juste s’extasier sur un fait évident : sa pure beauté, sa fluidité intemporelle, sa majesté de cathédrale ciselée pourtant immédiatement lisible, familière et hospitalière, en un mot, son humanité.
Pas le moins des mérites des deux complices Swift et Jurado que de nous rappeler cette qualité que notre époque tend trop souvent à effacer. Un dernier point : si vous ne tombez pas amoureux de ce bijou d’album, pas sûr que je vous parle toujours ensuite. Sans rire.
Franck Rousselot
Damien Jurado. Brothers And Sisters Of The Eternal Son
Label : Secretly Canadian / PIAS
Sortie le lundi 20 janvier 2014