« True detective » est une nouvelle série, diffusée depuis le 12 janvier 2014 sur HBO (8 épisodes commandés à ce jour, diffusion US en cours et actuellement sur OCS).
A priori l’auteur de la série prévoit que chaque saison soit tournée autour d’une enquête spécifique, et menée par un casting différent. Nous voilà prévenus. Ceci peut d’ailleurs avoir une véritable incidence sur le plaisir pris à regarder la série, j’y reviens dans un instant.
Le »pitch » est tellement simple que je dois reconnaître que si l’on ne m’avait pas conseillé d’y jeter un oeil, je n’y aurais sans doute probablement pas goûté. Bien mal m’en eut pris (en tous cas pour le moment…).
Nous sommes en 2012, dans la salle d’interrogatoire du commissariat d’une petite ville de Louisiane. Deux enquêteurs qu’on croirait évadés de »Cold Case » interrogent alternativement les agents Marty Hart (Woody Harrelson) et Rustin Cohle (Matthew Mc Conaughey) sur des faits vieux de 20 ans, soit au tout début des années 90. A l’époque une jeune femme a été découverte morte par les deux équipiers pieds et poings liés, nue, au pied d’un arbre séculaire. Bien qu’on ne sache pas réellement pourquoi les deux enquêteurs reviennent sur une affaire ancienne, le spectateur comprend que les deux inspecteurs interrogés sont témoins ou partie d’une affaire plus large qui a probablement des ramifications jusqu’en 2012.
20 ans plus tôt les deux agents se sont dirigés rapidement vers le crime rituel, et ont cherché à identifier le tueur qui leur échappe longtemps malgré une enquête de longue haleine menée par un Hart »à l’ancienne » et un Cohle dont on comprend vite qu’il a ses propres démons contre lesquels il s’est battu toute sa vie., Crime rituel, suspicion sur les inspecteurs en charge de l’affaire, flirt des limites entre le flic et le flic voyou… Voilà qui a déjà fait les belles heures des polars des années 80, 90, et qui a déjà trouvé son expression dans des séries comme »The Shield » ou »The Wire ». Pourquoi alors s’arrêter sur »True detective » et pointer cette mini série HBO au rang des »must sees » de 2014 ?
Il y a d’abord la trouvaille de la rupture temporelle. Comme dans »Cold Case » l’action oscille entre plusieurs temporalités de récit. Le spectateur est balloté entre les protagonistes 1992 et leurs avatars 2012. Contrairement à la méthode »Cold Case » il y a pour le moment une unité de lieu (la salle d’interrogatoire) en 2012 et la multiplicité des lieux de la narration concernant 1992. Le spectateur effectue de constants allers retours entre les époques. La richesse n’est pas tant dans l’invention du procédé, que dans l’intensité qu’il apporte. Quand on est coincé en salle d’interrogatoire, toute la force de la série repose sur les monologues finement ouvragés, qui laissent paraître les fissures des hommes interrogés, sans tomber dans la ficelle grotesque. Tout tient sur la capacité des deux acteurs, vraiment grandioses à l’exercice, à maintenir à la fois l’intérêt, le poids, la tension du récit, tout en arrivant à faire d’une lenteur apparente un des adjuvants à l’anxiété.
Cette rupture temporelle permet aussi au l’histoire d’avancer par bonds, au gré de la narration au passé en 2012. On retrouve les inspecteurs en charge du crime, en 1992 à chacun des points clés de l’enquête ou de leur vie de famille. Sans gras ajouté à la narration, sans remplissage aucun, avec énormément de zones d’ombres dont le spectateur espère qu’elles soient éclaircies au fil de la saison. Ce n’est pas nouveau comme principe, mais c’est ici appliqué de main de maître.
J’en profite pour passer une mention spéciale au maquillage. Contrairement à « Cold Case » qui prend des séries d’acteurs différents en fonction de l’époque dans laquelle la série renvoie ses protagonistes, ce sont bien Mc Conaughey et Harrelson qui incarnent Cohle et Hart aux différentes époques. A tel point qu’on en vient à se poser la question de l’âge réel des acteurs dans la vraie vie: comment les a-t-on rajeunis pour la version 92, comment les a-t-on vieillis pour leurs versions 2012?
Il y a ensuite le jeu d’acteurs. Il tient réellement la série à bout de bras. Qu’il soit flic barré en 1992 ou pilier de bar misanthrope en 2012, Mc Conaughey est bluffant. Son phrasé, son attitude, sa gestuelle emplissent l’espace. Il porte à lui seul toute la tension dramatique qui se développe au gré des épisodes. On le sent louche, on le voit barré, on cherche à comprendre vers quel dénouement il nous emmène, on se perd en opinions sur le passage de flic à adepte des bars, de beau gosse à ivrogne sur le déclin. A ses côtés un Harrelson chevelu en 1992, re-glabre en 2012 est comme le pendant »rationnel » de la littérature policière des années 90. Comme on l’imagine dans un Ellroy ou un Michaël Connelly, il est un peu salaud, un peu père absent, beaucoup élevé dans le terroir, et énormément en proie aux doutes. Harrelson se glisse dans le rôle avec une étonnante véracité pour celui qui fut jadis un natural born killer. Il vit chaque scène et évoque les films policiers de la toute fin des 70’s début des ’90s; à tel point qu’on ne serait pas étonné à un moment où l’autre de croiser l’inspecteur Harry qui justement serait passé par là … Malgré le problème de raccord chronologique. La série se garde bien de trop nous en dire à chaque épisode, et le rythme lent du développement, n’est jamais jamais pesant, grâce au jeu du duo redoutablement bon.
A tel point qu’on se dit qu’une saison deux se doit absolument d’arriver avec les mêmes ingrédients si elle veut avoir une toute petite chance d’arriver à égaler la saison introductive. Harrelson et Mc Conaughey la portent réellement sur leurs épaules. Ils sont les garants de cette »grande » saison. Et leur absence en saison 2 va obliger le directeur de casting à chercher du très très haut niveau.
La beauté de la photo finit par faire le reste, dans une Louisiane post Katrina qui sert d’écrin aux allers retours dans le temps. La lumière est au diapason de la tension générale qui sous-tend l’ensemble. Il y a de l’eau, des grandes étendues et des présences industrielles. On ne sait jamais vraiment si on est dans une petite ville ou dans un bled de la campagne paumée, on ne sait jamais vraiment en fait où on est. Mais la majestueuse et inquiétante beauté des paysages (plein de plans hélico notamment) contribue à l’ambiance flippante de la série.
A déguster sans modération!
Denis Verloes
True Detective – saison 1
Genre : Drame, policier
Série américaine de Nic Pizzolatto
Avec Matthew McConaughey, Woody Harrelson…
5 épisodes de 57 minutes
Première diffusion US sur HBO en janvier 2014
Première diffusion française sur OCS en janvier 2014