Elle le disait elle-même : †œJe n’ai aucune imagination.† C’est sa vie que, dès 1946 avec L’asphyxie, Violette Leduc entreprit de jeter sur le papier avec une passion rageuse, encouragée en cela par les intellectuels qu’elle côtoya, de Maurice Sachs à Simone de Beauvoir. La bâtarde lui apporta le succès en 1964.
Elle est née en 1907 des amours clandestines de Berthe avec un, fils de famille, aimé †œavec courage, avec énergie, avec ivresse. C’était un amour définitif, c’était une marche au sacrifice.† Violette, resta marquée d’être †œle fruit de la fuite et du mensonge† dans cette France du début du siècle dernier. †œJe suis née brisée, je suis le malheur d’une autre†, écrit-elle. Elevée par sa mère et sa grand-mère adorée, tôt disparue, elle grandira dans la pauvreté jusqu’au mariage de Berthe qui leur apportera un peu plus d’aisance, mais aussi à elle un grand sentiment d’abandon.
Car toujours Violette eut un trop-plein d’amour qui peina à trouver son emploi. †œLigottée, garrottée dans les liens de ma sentimentalité où j’étais encombrée et encombrante.† Sa vie fut celle d’une femme étonnamment libre pour son époque, et toujours insatisfaite, qui jamais ne s’aima. Prompte à s’enflammer pour une main dans la sienne, elle eut des élans passionnés : Isabelle, Hermine, Gabriel, Maurice Sachs – dans une sorte d’amitié-amoureuse, lui étant homosexuel.
Par son auto-flagellation permanente, son inaptitude au bonheur, le personnage semble ingrat. Mais son écriture emporte tout : un mélange de réalisme et de poésie, une façon princière d’être terriblement vivante. Par la subtilité de ses observations, des lieux, de la nature, des gens, elle s’apparente à une sorte de Colette versant sombre. Elle parle d’amour avec finesse et une franchise simple et sensuelle qui forcent l’admiration, dans l’époque encore très corsetée de l’après-guerre. †œJe l’embrassais dans le cou, dans le creux où l’homme autant que la femme sont douceur de marabout.†
Elle était déraisonnable, avait la passion de l’impossible et un coeur voué à la désolation. Son écriture reste indémodable.
Brigitte Tissot
La bâtarde
Roman de Violette Leduc
Editeur : Gallimard/ Coll. L’Imaginaire
462 pages – Prix : 12 euros
Parution : 1996
Premières lignes, :
†œ Mon cas n’est pas unique : j’ai peur de mourir et je suis navrée d’être au monde. Je n’ai pas travaillé, je n’ai pas étudié. J’ai pleuré, j’ai crié. Les larmes et les cris m’ont pris beaucoup de temps. La torture du temps perdu dès que j’y réfléchis. Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux me complaire sur une feuille de salade fanée où je n’ai que des regrets à remâcher. Le passé ne me nourrit pas. Je m’en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m’ont torturée. J’aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage, la méditation, la culture. Bras croisés, je me suis brisée à ces mots-là .†