Dernière sortie avant l’autoroute
En Espagne, entre Tarragone et L’Hospitalet De L’Infant, au sud de la Catalogne, il y a un truc bizarre. Deux autoroutes se déroulent côte-côte, s’enlacent et se délacent sur cinquante kilomètres. Même panorama, même kilométrage. De prime abord, c’est con comme la lune.
L’AP7, autopista nationale, serpente de la frontière française jusqu’en Andalousie vomissant à haut débit de la ferraille et du pneu tandis que l’A7, autovàa, n’est qu’un élargissement de la N340 destinée à fluidifier la première les jours de surcharge pondérale. C’est l’autoroute des locaux et des gens qui savent. Elle aussi aimerait bien descendre jusqu’à Gibraltar, et plus si affinités, mais pour l’instant elle n’existe que sous forme de tronçons éparpillés le long de la Méditerranée.
Il y a une hiérarchie.
L’AP7, poule de luxe au grand coeur, t’emmène au bout du monde moyennant péage, l’A7, petite souillon décharnée et cabossée, t’offre ses charmes contre le seul plaisir de sentir tes roues la caresser.
Les Catalans l’ont voulue vite fait leur portion gratuite… un écot de moins à payer à la couronne madrilène. Mais elle se mérite parce qu’on n’en parle pas. Les panneaux l’ignorent et les G.P.S. la méprisent. En plus c’est chiant de l’emprunter, faut sortir de l’AP7 à Tarragone, la trouver, t’y engager, la dévaler… tout ça pour te retrouver en carafe à L’Hospitalet même pas une demi-heure plus tard quand elle se change à nouveau en nationale une-voie. Et pour économiser quoi ? Cinq, six, sept euros… et cramer autant en carburant pour aller rattraper la grande soeur et continuer à dévaler l’Espagne.
Mais putain… c’est quoi le rapport avec Concert : The Cure Live ?
Voilà le concept : t’es pressé ou tu l’es pas. Dans mon esprit sinueux, l’AP7, c’est The Head On The Door et L’A7, The Top. Ne me regarde pas avec tes yeux navrés du genre ça y est il a quitté le monde du réel et mélange les trochons et les versiettes. N’appelle pas tout de suite les urgences spychiatriques… je vais t’expliquer.
Ces deux-là sont comme des jumeaux et s’ils ne le sont pas The Head On The Door n’est qu’un retour de couche de The Top. Avant celui-ci, il y a Pornography, dernier opus de la trilogie sombre et magnifique qu’il forme avec Seventeen Seconds et Faith. À la fin de ce marathon de la déprime, de cette trilogie du fossé pour le clin d’oeil à Neil Young, Robert Smith se dit : bon on va dynamiser l’affaire sinon on va se pendre nom d’une coupe de cheveux en pétard ! Et v’là que je t’embauche du personnel, te sors le saxo, les couleurs chatoyantes et que naît cette merveille psychédélique, droguée et popfofolle qu’est The Top. Je simplifie hein ! La création artistique ne se résume pas à une carte autoroutière espagnole. Et bing ! Un an plus tard, 1985, débarque sur nos plages The Head On The Door blindés de ses deux tubes en or massif.
En route pour la gloire…
The Top, c’est le grand frère crassouille, le réformé définitif P4 de la famille, le givré sous acide que tu peux pas présenter à tes potes parce qu’il a le regard fou et passe son temps à dire des conneries. Pourtant il a un fond merveilleux. Il a juste la peau rugueuse, la carapace érigée de lames et de pics. Faut être un peu initié pour en savourer les saillies. Je ne dis pas que tu crèves systématiquement ton boudin Michelin quand tu empruntes l’A7, juste qu’elle est plus compliquée à trouver. The Top est un chemin parallèle, une étape facultative mais pourtant fabuleuse à ton voyage.
Give me it give me it give me it
Deaden my glassy mind
Give me it give me it
Make me blind
One step back and one step down
And slip the needles in my side…
The Head On The Door, c’est le beau gosse de la famille, son âme est ni plus ni moins la même que celle de son frangin, aussi déjantée et géniale mais à lui on a mis un coup de ponceuse à bande sur la coquille… et de polisseuse après… on l’a lustré. à‡a ne fait pas de lui un lèche-cul ou un vendu, ça met juste sa beauté intrinsèque à portée du plus grand nombre. C’est l’AP7, il t’emmène plus loin vers le sud au son des guitares flamencas de The Blood.
Oui mais reputain »c’est quoi le rapport avec Concert : The Cure Live ?
Et bha le lien c’est que cet album synthétise tout le boulot de The Cure jusqu’à The Top, c’est la dernière marche avant le grand saut, ou le podium si tu préfères… et, The Head On The Door. En général, je ne suis pas fan des lives parce que le son n’est pas bon, que ça ne joue pas bien et que tu te tapes des passages instrumentaux pourris qui, si tu n’es pas dans la salle au moment où… ne rendent rien. Concert : The Cure Live, c’est la fougue du tout début, la noirceur de la trilogie et la pop déglingo de The Top. C’est un concentré de rock’n’roll pur jus, la batterie tourne à cent mille tours, les basses te défoncent la cage thoracique, le saxo couine comme une truie et la guitare de Smith explose en accords kalashnikoffés… tatatatatatatatata…
Peut-être même que la carrière de The Cure aurait dû s’arrêter là , abandonnée comme un chien accroché à son arbre sur une aire de l’autoroute du succès.
Mais il faut savoir partager et il faut bien bouffer. Il faut savoir devenir fréquentable aussi.