Sans réelle engueulade, juste par des mots assassins sans la moindre attention, Arrête ou Je Continue, titre énigmatique composé d’une injonction suivie d’une menace, est donc l’histoire loufoque et décousue, banale et tragique, d’un couple en train de se décomposer.
Usure du temps, divergence de points de vue avec l’impression de ne plus se parler, ne plus se comprendre comme autant de signes annonciateurs du malaise qui plane sur Pierre et Pomme. Au cours d’une randonnée en forêt, Pomme décide de ne pas rentrer et de rester dans les bois où, pendant quelques jours et quelques nuits, elle vit une expérience initiatique comme une sorte d’introspection censée l’éclairer sur l’avenir de sa relation avec Pierre. La réalisatrice Sophie Fillières a toujours construit des situations insolites autour de personnages féminins, où les dialogues proches de l’absurde cultivent l’art de l’ellipse et du double sens, et Pomme, récemment opérée d’une tumeur au cerveau bénigne dont on n’indique pas en quoi elle aurait pu influer son comportement, est cette femme qui doute de l’amour de son compagnon et ne croit plus guère à la pérennité de leur histoire, sans doute pas plus que Pierre, peu affecté par la désertion sylvestre de Pomme.
Derrière le ton de la comédie gentiment déglinguée et burlesque pointent l’amertume et le désenchantement. La rupture semble bel et bien inexorable et tous les artifices ou les atermoiements ne suffiront probablement pas à l’éviter. Tout ceci s’exécute sans cris ni violence, juste quelques vociférations incongrues de Pierre à propos de randonneuses intrusives d’un côté, quelques affirmations péremptoires de l’autre. Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric se connaissent bien, ont joué régulièrement ensemble chez Arnaud Desplechin, leur complicité et leur plaisir à se donner la réplique, même acide et vacharde, transparaissent à l’écran. Mais au-delà de la qualité de l’interprétation, il faut hélas convenir que l’ensemble demeure plutôt faible et anecdotique, sentant un peu trop le fabriqué et l’artificiel dans des dialogues certes décalés, mais fort peu naturels. l’escapade forestière imprime à la deuxième partie une dimension de conte, impression amplifiée par l’apparition d’animaux sauvages. Les bois sont vastes et touffus et la promenade finit par être longue et répétitive, agrémentée d’une halte avec un groupe de musiciens qui tourne court.
Un sentiment au final très mitigé devant une œuvrette qui reste nombriliste et futile. Autrement dit, on ne nourrit pas un intérêt démesuré pour les affaires de cœur de Pierre (interprété par un Amalric rajeuni, immature et guère concerné) et de Pomme (jouée par une Devos insaisissable et complexe). Des séquences drôles à l’esprit saugrenu provoquent aisément le sourire mais celui-ci s’estompe vite à l’aune du souvenir évanescent de cette toute petite chose inoffensive.
Patrick Braganti