Après avoir reçu un petit mot de son village natal, un employé d’une galerie d’art contemporain n’a plus envie de rentrer chez lui, il divague dans les rues de Paris en revivant le long voyage initiatique qu’il a accompli pour ne pas arriver à ce qu’il voulait faire, à ce qu’il voulait être mais aussi pour échapper à ce qu’il était. Il se souvient de ses origines, fils d’un ouvrier agricole d’un château dans le Médoc mettant toute son énergie à accomplir de solides études pour échapper au destin que son père lui avait concocté : employé comme ouvrier viticole dans la même propriété que lui. Il fallait qu’il échappe à ce métier, à ce statut, à son village refermé sur lui-même, xénophobe, raciste et surtout homophobe ce qui était insupportable pour lui.
Son père étant communiste, il ne pouvait pas suivre les autres enfants du village au catéchisme, alors il se réfugiait à la bibliothèque où un fanatique de cinéma lui inculque le virus de cet art. Le cinéma devient ainsi son rêve, son avenir, son destin. Il monte alors à Paris pour suivre une école privée pas assez prestigieuse pour qu’il réussisse dans ce milieu. Vivant de petits boulots en petits boulots pour ne pas solliciter la famille, pour lui cacher son échec, il atterrit finalement dans une galerie dont le patron remarque son intérêt pour l’art conceptuel qu’il expose et lui propose un emploi qu’il occupe toujours quinze ans après avoir quitté la terre, cette terre qui lui colle cependant toujours sous les semelles. Provincial, il est, provincial il restera toujours, à son grand dam et à sa grande honte, dans le milieu sophistiqué, décadent et puéril où il est toujours en décalage.
Au cours de son errance, il pénètre dans un palace parisien où il fait la connaissance d’un karatéka belge qui fait du cinéma et l’embrouille dans un discours abscons dans lequel il trouve cependant un sens. » Tu vas mettre ta vie sur le comptoir et nous allons regarder ce qu’il y a dedans « . Il constate finalement qu’il n’est qu’ » un homme à la recherche de lui-même » ayant épousé une fille trop riche pour le milieu qu’il a progressivement abandonné n’osant avouer qu’il vit aux crochets de sa belle famille et travaillant comme factotum dans un milieu frelaté par l’hypocrisie et la médiocrité entourant le marché de l’art.
Ce livre n’est qu’un long périple dans les pas du narrateur, peut-être de l’auteur, pour évoquer la destinée à laquelle on n’échappe pas, la terre colle toujours aux semelles quelles que soient les chaussures empruntées. On reste toujours ce que l’on est malgré les apparences qu’on essaie souvent de modifier pour masquer ses véritables origines. » Les artifices dont nous usons nous révèlent peut-être davantage que la nudité « . Un voyage agrémenté d’une réflexion sur le sens de la vie et sur l’art, plus particulièrement sur l’art contemporain et toutes les manipulations pas très honnêtes qui l’entourent. « Tout ça pour te dire que ce n’est pas facile de savoir qui nous sommes, parce que souvent, cela dépend des autres, de leur regard « .
Un texte agréable qui se lit facilement même si l’auteur utilise des artifices littéraires pour construire ce voyage initiatique nullement linéaire car, s’il est aisé de suivre le narrateur dans sa déambulation parisienne, il est un peu plus compliqué de reconstituer son parcours personnel évoqué en fonction des événements qui ponctuent cette errance nocturne.
Denis Billammboz
Comme un karatéka belge qui fait du cinéma
Roman français de Jean-Claude Lalumière
Editeur : Le Dilettante
253 pages – 17€¬
Parution : 12 février 2014