Jacques A. Bertrand est cet homme qui, le dimanche à 12h45 sur France Culture nous cherche d’une voix douce †œDes Papous dans la tête†, avec ses pamphlets contre les fonds sonores, ou les ronds-points. Il est cet écrivain qui, il y a 30 ans déjà avec †œTristesse de la Balance† avait jeté un oeil nouveau sur le zodiaque, ou qui, avec †œJ’aime pas les autres† (2003) se montrait faussement méchant en faisant un sort au commun des mortels, beaucoup trop commun mais surtout terriblement mortel.
Il n’est pas le premier à écrire sur son cancer, sur le cancer de son couple peut-être bien que si, et sur la maladie avec ce ton-là , sans doute. Voilà une chronique stomacale avec laquelle, si l’on ne se boyaute pas, on sourit souvent.
Car, si l’auteur aime cultiver la mélancolie sur les terrasses les soirs de fin d’été (quelle que soit la saison), il a en revanche la tragédie modeste et le duodénum bien élevé. Bien sûr, l’auto-ingestion de son estomac est une activité fâcheuse, surtout quand les effets secondaires des traitements se mettent à passer en premier, quand on vous dit que vous allez mieux alors que vous vous sentez de plus en plus mal, que votre patience de patient se trouve parfois mise à rude épreuve et que vous êtes devenu †œexpert ès détention hospitalière†.
†œD’un naturel dolent dans un monde dolorifère†, Jacques A. Bertrand écrit court, et ce n’est pas la moindre de ses qualités. Il aime †œlaisser entendre le silence entre les mots†. Il n’y en a pas un de trop. Des phrases polies qui chantent juste, un humour qui affleure constamment dans l’adversité, celui †œd’un type qui prétendait qu’il fallait danser sa vie mais avait quelques difficultés avec la chorégraphie†.
Après tout, la plupart des grands hommes ont été malades, nous dit-il, et †œil ne semble pas que la santé ait favorisé les arts.† †œTout le monde a d’abord besoin d’amour, d’aventure, de surprise, de déstabilisation, de mystère, voire d’un peu de légitime inquiétude.†
Laissons-lui le mot de la fin :
†œHéloîse déclara qu’elle n’envisageait pas la vie sans moi.
– C’est comme moi, dis-je, j’ai du mal à envisager la vie sans moi.†
Nous pareil.
Brigitte Tissot
Comment j’ai mangé mon estomac
Editeur : Julliard
111 pages – Prix : 14 euros
Parution : janvier 2014
Extrait :
†œ Il y a des gens qui ont le désespoir modeste, on dirait à peine un désespoir ; ils le promènent tous les soirs à heure fixe, comme on sortirait un vieux chien. Il y a des désespoirs qui sont comme de vieux chiens fatigués, arthritiques, hésitant au pied des réverbères. Pisser ou ne pas pisser.
D’autres portent leur désespoir comme une oriflamme, quand ils ne s’arrachent pas les cheveux, ou ne se couvrent pas la tête de cendres (tandis qu’on entendrait, en fond sonore, les lamentations d’un choeur de type tragédie grecque).
Moi, ça dépend des jours.†