Le pari était audacieux, le projet compliqué à mettre en place, : faire danser ensemble à Jaffa des élèves palestiniens et israéliens de quatre écoles différentes sous la férule de Pierre Dulaine, enfant du pays, né en 1944, devenu danseur professionnel maintes fois récompensé. La confrontation des croyances des familles souvent arc-boutées sur des préjugés est ainsi mise à l’épreuve, tandis que l’obstacle majeur pour le danseur et les pédagogues des différents établissements ne réside pas tant dans la cohabitation des communautés que dans celle des sexes. Les réticences sont d’abord exprimées par des garçons et des filles qui ne veulent manifestement pas danser ensemble les pas de rumba, merengue ou tango. La danse constitue également l’outil idéal pour libérer des corps et des âmes meurtris et acquérir dans la foulée la confiance en soi d’abord, et par ricochet dans son partenaire et dans l’autre, de manière plus générale.
Porté par son parcours personnel, né d’une mère palestinienne et d’un père irlandais, artiste mondialiste par excellence ayant sillonné la planète avec Yvonne Marceau où ils engrangent les prix de danse de salon, Pierre Dulaine s’implique totalement dans l’aventure, redoublant d’énergie et de patience, n’hésitant pas à pousser un coup de gueule, à raconter son existence aux enfants de plus en plus séduits par l’homme un tantinet cabotin. Réalisé par Hilla Medalia, elle-même enfant du métissage, Dancing in Jaffa est un documentaire émouvant et réconfortant. Émouvant parce qu’il s’arrête plus longuement sur quelques cas particuliers (Noor enfermée dans le chagrin de la mort de son père, Alaa qui vit avec sa famille de pêcheurs dans une cabane rudimentaire, « ). Réconfortant parce qu’il ouvre une fenêtre sur l’espoir d’une réconciliation et d’une solution à des problèmes qui durent maintenant depuis 68 ans. Que cela passe par les enfants et l’exercice d’une discipline artistique ajoute encore à l’apaisement que procure le film. Ainsi la ville de Jaffa, cosmopolite et multicommunautaire, où juifs, musulmans et chrétiens se côtoient quotidiennement, rejoint-elle à son tour trente autres villes à travers 5 pays où se déploient les programmes de Dancing Classrooms qui rassemblent toujours des enfants entre 8 et 14 ans d’origine diverse dans le but de leur apprendre la discipline et le respect de l’autre, grâce à l’apprentissage d’un art qui en requiert beaucoup.
Une démarche qui fait aussi penser à celle qu’avait inaugurée Pina Bausch en reprenant Kontakthof avec des adolescents amateurs et plutôt défavorisés, en tout cas éloignés du milieu de la chorégraphe allemande. Les deux films sont parcourus par la même foi, celle qui soulève les montagnes, et une identique lucidité qui exclut l’angélisme et l’apitoiement. Il y est aussi question de volonté et d’envie, d’ouverture d’esprit et d’accepter de lâcher la bride. Le jeu en vaut largement la chandelle.
Patrick Braganti
Dancing in Jaffa
Documentaire israélien de Hilla Medalia
Sortie : 2 avril 2014
Durée : 01h24