Sans jamais tomber dans le pathos ni dans la caricature, cette fresque wallonne de l’apprentissage sur fond de musique punk et paradis artificiels séduit haut la main par une narration touchante et bien dosée sublimée par une bichromie lourde en ombres et contrastes. Une auscultation stylisée de ce douloureux passage à la vie adulte.
1988. Rosie a 13 ans et suite au départ impulsif et égoîste de sa mère pour Dubai, se retrouve seule à s’occuper d’elle-même sans pouvoir compter sur son père, tout aussi accaparé par son égocentrisme et sa carrière professionnelle. Terrifiée par sa solitude et rongée par le manque d’attention autour d’elle, Rosie glisse doucement vers la dépression, dépression à laquelle s’ajoute bientôt le penchant qu’elle se découvre pour l’alcool, son unique outil salvateur, et qui fait aussitôt fuir sa meilleure amie. Son seul échappatoire lorsque le silence de le maison fait résonner ses peurs et pensées anxiogènes : le muret., C.’est là qu’elle rencontre Jo, avec qui elle partage quelques gorgées tout d’abord, et qui, aussi perdu qu’elle mais plus âgé et indépendant, la rassure immédiatement. Une tendre relation se tisse peu à peu entre eux deux, fondée sur les non-dits de cette croix que chacun porte en silence, et un respect mutuel et une profonde compréhension jamais verbalisée à l’égard de cette dernière. Jo initie Rosie à la musique punk, et lui fait bientôt découvrir la culture underground et les liesses des paradis artificiels. C.’est de ce jeune homme qui lui ressemble tant, avec ses traumatismes mystérieux et à la vie difficile mais qui pourtant, semble mordre la vie à pleines dents, que Rosie tombe bientôt amoureuse. Elle s’accroche à lui comme à une bouée pour oublier tant qu’elle le peut la tempête autour »
Il y a dans » Le Muret, » une sensibilité toujours juste et mesurée. La qualité de sa narration et de ses dialogues épurés qui jamais ne touchent l’overdose ou l’intellectualisation laisse peser une atmosphère et ambiance sans faussetés qui nous happent dès la première page. Le trait noir et ombragé de Pierre Bailly fait tour à tour symbiose avec le texte, ou va continuer silencieusement seul et sur l’exact même ton, ce récit d’apprentissage mélancolique.
La voix de Rosie vient nous chercher et nous arroser comme une pluie caniculaire, moite, triste et belle à la fois. Puis, on suit son évolution comme l’éclosion longue et difficile d’un bouton de fleur, à la lisière de ce mur qu’elle ne semble pas encore être prête à franchir. On se prend d’une envie parentale de la serrer dans nos bras et de l’accompagner par-delà la frontière, tout en reconnaissant en elle avec humilité l’adolescent que nous fûmes tous un jour, dubitatif devant le mur des incertitudes que nous avons dû franchir, seul ou non.
Une autre de ces perles d’auteur à se procurer immédiatement chez l’estimable collection Écritures de Casterman.
Le Muret
Scénario : Céline Fraipont
Dessins : Pierre Bailly
Éditeur : Casterman – Écritures
190 pages- 17,00€¬
Parution: Janvier 2014