J’te jure l’hallu… me réveille en pleine nuit : devant moi les poumons de Daniel Darc. Je sursaute dans mon premier sommeil, j’ouvre les yeux et, face à l’incompréhension, c’est la première chose qui me vient.
Drôle d’idée aussi de mourir ! Plus de vingt ans que le gars est dans mon paysage, depuis que j’achète Seppuku de Taxi Girl en 1989, alors forcément, quand la nouvelle tombe de la tombe nouvelle, c’est le choc. Pas que ce soit super étonnant mais choc quand même.
Une espèce d’illumination en pleine nuit. Je me ressaisis vite, en fait c’est l’armoire de ma fille cadette qu’a atterri dans notre chambre parce qu’on refait la sienne. Elle a collé des étoiles phosphorescentes sur les deux portes autour du miroir et comme elle est encore petite, plus tu montes, moins il y a d’étoiles collées. à‡a fait comme deux larmes qui se font face… comme des poumons aussi. Dans le pétrin de mon premier sommeil disturbé : les poumons de Daniel Darc, ou ses larmes… Ce qui est sûr, c’est que l’annonce de sa mort a eu assez d’impact sur mon inconscient pour que j’en arrive là .
Seppuku : la classe. 1981. Presque prémonitoire comme titre. Alcool, médocs… accident, suicide volontaire ou non… conscient ou pas… accicide ou suicident. » Si je meurs, ce sera d’une balle dans la tête, l’overdose, c’est trop vulgaire » disait Daniel. Magnifique album.
En 1989, j’ai ce crash de mobylette en rentrant du lycée. Tape une voiture de plein fouet, sacré vol-plané, manque d’y passer, multiples fractures, une nuit au bloc et trois semaines d’hosto. J’aime bien raconter ma vie. Je fantasme sur une infirmière qu’a un super décolleté et des dessous violets qui débordent de sa blanche blouse. Seize ans, les deux bras dans le plâtre… compliqué le fantasme. Bref. Mon ami Serge me ramène les Inrockuptibles, numéro 15, avec Bernard Albrecht en couv’. Ohhh… tu peux vérifier, je l’ai encore l’exemplaire, je viens de passer une heure dans le capharnaüm de la décharge publique qui me sert de garage pour le retrouver. De la spéléo. Février 89. À l’intérieur New Order donc, mais aussi Noir Désir, My Bloody Valentine, The Doors, Jacques Tardi et… Taxi Girl. Rien que ça. Je potasse le canard en long et en large pendant tout mon séjour forcé histoire d’oublier un peu les seins voraces de purple-soutif… nursple-soutif !
C’est l’article sur Taxi Girl qui me remue le plus, pas vraiment une interview, le journaliste fait écouter des morceaux à Darc et ce dernier dit vague pendant plusieurs pages. Le punk ultime. » Je n’étais pas content de notre concert ni du public et comme j’avais un cutter sur moi je me suis tranché les veines pour voir s’il y avait une réaction. J’ai aspergé le public, des gens se sont trouvés mal et les pompiers ont même voulu m’emmener. Pas une des personnes présentes ne se souvient de nos morceaux. Je n’avais pas fait ça pour me tuer mais juste pour le fun, du pur rock’n’roll. » Première partie des Talking Heads, le Palace, L’Anecdote. Taxi Girl c’est ça, un son ou deux d’avance, textes mysthico-polardeux, tout le monde se perd, la mort plane, sauvagerie !
De la musique de pédés, ricanent les bourrins. Bande de cons !
Je conserve de cette expérience hospitalière quelques belles cicatrices, une sympathie particulière pour le personnel soignant et un intérêt durable pour Daniel Darc. Le rocker voyou à l’état pur »et dur. Tout ça c’est peut-être de la légende mais à seize ans ça impressionne !
Le premier truc que je fais en sortant c’est acheter Seppuku. Pas facile d’accès quand après avoir lu l’article un peu bêtement tu t’attends à du gros rock. Plein de synthés et une petite voix pas bien costaude. Petit à petit tu te laisses attraper et tu décroches plus.
J’imagine que les nécros sont bouclées depuis pas mal de temps déjà et que demain l’éloge sera unanime pour le soldat inconnu. Et bah ce sera amplement mérité ! Je suis triste, c’est encore une partie de moi qui s’effrite et se casse la gueule. T’avais pas le droit de partir Mister Dark.
Cette nuit, c’est pas le blabla des nécros mais tes poumons qui m’apparaissent sous la forme de deux micros galaxies phosphos en suspension au pied de mon lit. Comme s’ils me transmettaient ton souffle perdu que j’imagine court et rauque pour me dire de foncer, de continuer à écrire et espérer parce que les portes fermées se défoncent à grands coups de pompes. Merci donc.
» Les mecs qui font du rock sans vouloir être des stars sont un peu comme des ornithorynques ou les Bérurier Noir. Je n’ai pas fait d’études sur eux mais quand tu fais du rock, il faut être une star au sens Warhol. Iggy est une star, je suis une star, je le sais et les autres le sauront. Quand tu veux devenir quelque chose, tu le deviens. «
» Quand tu veux devenir quelque chose, tu le deviens. » Ouais Daniel !
Quand je dors, j’te jure… me vient de ces trucs.
Stéphane Monnot