Techniquement, je suis le chroniqueur musical le moins informé de cette fichue planète. Aussi, quand j’ai reçu le nouveau Micah P. Hinson, me suis dit par devers moi : » whaou »putain, sort d’où lui ! « . Ce à quoi Jiminy Cricket m’a immédiatement répondu : » bha il est connu, t.’es naze ou quoi ? » Force est de constater que le gars, à peine trentenaire, a déjà un sacré palmarès à son actif. Ma fierté ravalée, je prends donc la plume »et ce n’est pas plus mal en fait parce que l’absence d’égo et l’épanchement sont un élément axial de cet album. Prépare-toi à du déballage de tripes et de la musique sans fausse pudeur, ni artifices trompeurs. Le son du fond, le son de l’ombre. Micah P. Hinson et le Rien !
Musicalement, c’est impeccable. Il s’agit de ce qu’on appelle l’Americana. Jusqu’alors, l’Americana n’était pour moi rien d’autre qu’une mythique basket Adidas, savamment usée sur les bancs du collège Léon Blum, au sujet de laquelle j’ai longuement écrit dans »Noche Triste » aux éditions Antidata ( » Oh le cabotin ! Fait sa propre pub dans ses chroniques » tu vas penser »Et tu auras raison vieux compagnon mais l’occasion est trop belle). Maintenant, je sais que c’est aussi une sorte de revival tradi, un peu folk, un peu rock et que c’est drôlement bien. Pour le moins dans ce cas précis. Tu entends des violons, du piano juste un tout petit peu désaccordé pour donner un grain saloon, du banjo, de la scie musicale, de la pedal-steel, de la petite gratte en bois du bayou et pleins d’autres trucs de cow-boys. C.’est gentiment rétro et souvent très beau.
Le premier morceau – How Are You Just A Dream ? – est un hymne punk-rock Clashien qui colle aux semelles de tes americanas »pour le coup »pendant des jours tellement il est bien ficelé. Il semble te dire : » ok les gars, voilà ce qu’on sait faire comme musique énervée, voyez, on est pas des manches, mais on ne se cantonne pas qu’à ça alors écoutez la suite ! » C.’est la tempête qui cache le calme. Tout le reste est en ballades, en longues et lentes chevauchées.
C.’est pas mal tiens, la tempête qui cache le calme ou la tempête avant le calme ! Parce que dans la bio de Micah P. Hinson, il est beaucoup question d’ouragans »métaphoriques certes, stupéfiants ou routiers, mais d’ouragans quand même, de fléaux qui normalement te laissent sur le carreau. Un gros coup de vent donc, puis une mer d’huile sur laquelle les marins recousent les voiles et comblent les brèches dans la coque, flots apaisés sur lesquels ils prennent le temps de se confier les uns aux autres en fumant et picolant. à‡a fonctionne du tonnerre pour continuer dans la météo puisque la voix du jeune homme a la profondeur de l’abîme et du choeur des matelots engloutis. Pas folichon-folichon mais sacrément efficace. Un organe rocailleux de centenaire qui te fera immanquablement penser à Johnny Cash, Tom Waits, Bruce Springnsteen version grand cru classé, Joe Strummer et, pour la grésille et la déglingue, au très très regretté Mark Linkous, alias Sparklehorse. Mark Linkous le céleste, grand frère vénéré et maudit par le sort »enfin j’imagine. Motorcycle Boy et Rusty James pour la parabole cinématographique.
Quoi qu’il en soit de mes interprétations et de mon ressenti, Micah P. Hinson est un merveilleux songwriter, capable de te promener d’un registre à l’autre en gardant son A.D.N. vierge de toute souillure. Il reste cet Icare des temps modernes dans sa quête du Sublime dont les ailes, d’un matériau bien plus résistant qu’autrefois, tiennent toujours le coup.
Stéphane Monnot
En concert :
– le 25 mai 2014, à l’Aéronef de Lille (59)
– le 26 mai 2014, au Petit Bain à Paris (75).