Le quatuor Rennais sort son second album et se démarque nettement de la concurrence malgré quelque défauts. Explication ci-dessous.
– Tu connais Totorro toi ?
– Le film avec les nounours en forme de poire et au sourire crétin? Ben ouais, pourquoi ? Tu viens juste de le voir ??
– Mais non idiot le groupe Rennais Totorro.
– Euh……. non pourquoi ? Je devrais connaître ?
– Tu devrais, en effet. Pour ta gouverne il s’agit là du meilleur groupe de Rennes du monde actuellement. Celui qui va tout déchirer sur son passage en France et tsunamniquer les américains sur le terrain du post-rock instrumental.
– Du quoi ?
– Post-rock, un genre inventé dans les années 90 par des groupes qui savaient plus comment jouer du rock ni comment accorder leurs guitares et faire des accords pour jouer de la pop. Alors ils les ont désaccordé, fait ce qu’on appelle des open-tuning, tu sais…comme les voitures, et joué une note toutes les 3 minutes pour faire style. Ils se sont un peu pris de bec avec des gars qui voulaient reprendre le principe d’une note toutes les trois minutes mais en y ajoutant de la tension et quelques notes en plus. De cette addition est né le courant Math rock, Tu comprends ?
– Euhhhhh…….. ça a quoi à voir avec ton groupe là ??? Ils font quoi ? Du rock ? Du post-rock ? Du math-rock ?
Bon laissons dumb et dumber continuer à philosopher sur les différents courants dans la musique actuelle pour se recentrer sur la sortie de home alone, nouvel album du quatuor Rennais qui semble créer le buzz sur la toile et au-delà .
Pour quelles raisons me direz-vous?
Premièrement, Totorro est un groupe de post-rock instrumental. Ensuite, comme il est écrit juste au-dessus, ils sont Rennais (mère patrie d’Etienne Daho, Sloy, Dominic Sonic, Laetitia Sheriff entre autres), mais également détenteur du prix l’Ampli Ouest-France en fin 2013, prix qui avait couronné les Concrete Knives tout de même. Ce qui n’est pas rien, vous en conviendrez.
Est-ce suffisant pour faire le buzz?
Quelque part oui: combien de groupes post-rock français et instrumental ont marqué les esprits ces dernières années? Pour faire court, on peut les compter sur les doigts d’une main: le collectif Rien et dans un style plus proche du métal, »Year Of No Light ».
Alors pensez donc: un groupe français qui sort un album instrumental, frais et plutôt enlevé, ça détonne dans le Landernau.
Cependant home alone se suffit amplement à lui-même et n’a aucunement besoin du buzz pour s’imposer. Accrocheur, malin, vif, l’album, malgré sa courte durée, est une sorte de palais des glaces labyrinthique, bourré de chausse-trappe, de tiroirs, de retournements de situations, de montées vertigineuses, de faux-plats, condensant en une petite demi-heure et au format pop le post-rock. Gros avantage: ça évite les longueurs inhérentes au genre. Inconvénient (mineur) : ça part dans tous les sens. Sauf que chez Totorro, si ça part dans tous les sens, ça ne s’éparpille pas pour autant. L’album fourmille d’idées, joue avec le temps, les contre-temps, paraît très technique mais également d’une grande simplicité. Et ce grâce à une accroche mélodique immédiate, ainsi qu’une grande lisibilité tant au niveau de la production que du son. Home alone se veut clair, limpide, sec et sans temps mort. Vous ajoutez à cela une pointe d’humour potache très bien vue (calembours et autres jeux de mots laids en quatrième de couverture), une fraîcheur certaine et vous obtenez un excellent disque.
Mais, car il y a un mais, pas exempt de défauts : il aurait parfois gagné à rester purement instrumental (les choeurs sur Osao san et Chevalier Bulltoe tombent comme une perruque sur la soupe; erreur de jeunesse serait-on tenté de dire.) mais surtout le disque a une fâcheuse tendance à brandir en étendard ses influences et finit par ressembler vaguement à une sorte de who’s who du rock indé des années 90. Pop, lo-fi, post-rock, math rock tout y passe : de Slint à Sebadoh, des Pixies à Godspeed, de Tortoise à Mogwai en passant par Gastr Del Sol ou Toe, Home alone est un véritable condensé. Heureusement pour nous, auditeurs, et c’est aussi ce qui rend cet album très attachant, le groupe a la belle idée d’utiliser les chemins de traverse pour s’exprimer. C’est à dire ? Le principe de base du post-rock comme du math rock est d’être revendicateur, tendu, parfois désespéré , souvent politique (notamment chez Godspeed), et la plupart du temps aventureux. Concernant l’aspect aventureux des choses, Totorro confirme qu’il maîtrise tout à fait son sujet, mais plutôt que de s’enfoncer dans les méandres tortueux et maintes fois rabâchés par tant d’autres de la contestation, le groupe préfère gober quelques pilules d’ecstasy, mettre le négatif de côté et insuffler légèreté et joie de vivre dans sa musique. Ce qui a pour effet immédiat de permettre à Totorro de se démarquer de tant d’autres groupes et de pouvoir bénéficier d’une attention médiatique assez conséquente. Et pas forcément imméritée comme vous l’aurez compris.
Plus tard, avec le recul on se rendra compte qu’avec Home alone, les membres de Totorro seront les dépositaires d’un nouveau concept. Celui d’une pop décomplexée sur laquelle planerait non pas l’ombre du post-rock mais plutôt celle du math-rock.
Concept qu’on pourrait alors nommer le Math-Pop Aura.
Et qui devrait triompher. A n’en pas douter.
Christophe Ciccoli
Totorro – Home Alone
Label : Recreation Center
Sortie 28-04-2014