Dans ce récit, Céline Minard lance ses mots dans une chevauchée fantastique, une chevauchée héroîque, à la manière de John Ford lançant ses cowboys et ses indiens à la conquête de l’Ouest sur les traces d’Henry Hatahaway. Elle réinvente les westerns que j’ai connus quand j’étais adolescent, qui m’emportaient vers des horizons que je ne connaissais pas, vers un monde nouveau. Chaque page de ce livre fait surgir un cowboy aux airs de John Wayne ou de Robert Mitchum ou des Indiens sosies d’Anthony Quinn. Sous sa plume, la vaste plaine désertique s’anime, les cowboys se rencontrent, pactisent, échangent, se truandent, se dépouillent mutuellement, s’écharpent, s’entretuent, » – il est souvent plus facile de suivre les bottes ou les chevaux que leur propriétaire car ils changent trop souvent – les indiens épient, observent, découvrent, s’entretuent eux aussi, se font rouler, se vengent » la plaine est en effervescence, tout ce petit monde a besoin d’un lieu pour se ravitailler, pour se reposer, pour se défouler pour se ressourcer « le campement devient un caravansérail à la mode américaine, un agglomérat de cabanes, de bicoques, un ramassis de tous les vices de la planète, une ébauche de rue, les prémices d’une ville.
A travers sa geste épique l’auteure décrit comment la rencontre, avec les peuplades autochtones, de tous ces » traîne-la-plaine » fuyant tous quelque chose qu’ils n’avoueront jamais, ou cherchant à satisfaire des appétits qu’ils n’ont pu combler ailleurs, constitue l’acte de naissance réel d’une nouvelle société, la civilisation du Far West, pas seulement le Far West des westerns mais aussi le Far West qui est encore inscrit dans les gènes des nombreux habitants de ces régions du centre de l’Amérique pour qui la carabine ou le pistolet est encore une prothèse indispensable. Elle nous montre comment les Indiens ont reçu cette culture envahissante : » Ils avaient acquis et adopté le cheval en moins de deux générations, ainsi que les armes à feu et tout ce qui était susceptible de leur simplifier la vie » sans savoir qu’ils recevaient en même temps des microbes que leur organisme ne connaissait pas. Le pragmatisme des Blancs, leur appétit, leur avidité ne s’étaient pas dilués dans les grands espaces, bien au contraire : » Il se mit à rêver au commerce, à la diversité des denrées et des objets qui passent de main en main, à la valeur qu’ils acquièrent en changeant de civilisation, aux désirs prétendument variés et innombrables qu’il faut satisfaire ». Le cadre était campé l’Ouest virginal pouvait entrer dans la civilisation de la Grande Amérique des marchands.
Avec ce récit, Céline Minard réinvente le western épique, celui qui existait avant que les Italiens renversent la bouteille de sauce tomate dans les bobines et me détournent définitivement du genre. Elle chevauche désormais aux côtés de Dorothy M Johnson ou de Jack Schaeffer dont les romans ont fourni la matière à de nombreux scénarios de grands westerns à succès. Si un jour, elle émigre en Amérique, elle sera vite classée dans la liste des écrivains des grands espaces, ceux qu’on appelle les écrivains du Montana qui pourrait être le cadre de ce récit. Le texte de Céline n’est pas seulement une folle épopée, frisant la parodie, dans les plaines du Far West comme le chantait Yves Montand, c’est aussi un texte d’une grande richesse littéraire, excellemment documenté, dont le rythme ne fléchit jamais courant les pages comme les chevaux courent la plaine même s’ils changent souvent de cavalier.
Et si le roman avait encore un avenir ?
Denis Billamboz
Faillir être flingué
Roman français de Céline Minard
Editions Rivages
336 pages – 20€¬
Parution : 21 août 2013
Prix du livre inter 2014