Question de la semaine : à quel moment bascules-tu de l’art à l’artisanat ? Est-ce quand tu oeuvres à respecter et préserver les poncifs d’un genre devenu délicieusement désuet, quand tu passes de créateur à conservateur, quand tu n’en as plus rien à foutre de délivrer de quelconques messages parce que, FUCK !, tes semblables sont des connards, que toi tu lâches la rampe et te dis que la céramique c’est finalement plus tranquille que la poésie, etc »etc »
J.’ai pas la réponse mon pote !
Paradoxalement, un panier en rotin tressé par des doigts exaltés est bien évidement d’une essence cent fois plus noble et artistique qu’une symphonie bâclée, alimentaire et commandée au plus grand des compositeurs désormais repu et blasé »au secours aide moi. Je suis hyper emmerdé avec ce disque ! Parce que c’est le premier truc qui m’est venu à la caboche cette histoire d’artisanat et plus j’y pense, plus ça part en sucette.
Voilà dix chansons des Harper, mère et fils associés, composées et enregistrées par leurs soins dans le magasin-musée d’instruments à cordes de Claremont, Californie, tenu de génération en génération par la famille de Ben. Il y a usé ses savates et s’y est fait de la corne aux doigts depuis tout gosse en grattouillant les banjos, ukulélés et autres dobros qui traînaient par là . Rien d’électrique ici, que de l’acoustique, les thèmes abordés sont le foyer, la famille, les fantômes que tu y trouves et bien évidemment cette vieille catin de nostalgie !
Alors c’est un peu longuet, certes, les chansons, toutes de jolies ballades, sont lentes et se ressemblent, mais c’est bien ficelé, bien joué, bien chanté – la très belle voix semble génétique chez les Harper – bien enregistré, bien tout… Le disque a une vraie unité. Manque juste un brin de fantaisie dans les arrangements, violons rednecks, guimbarde, harmonica ou un peu plus de banjo – comme sur le très chouette » Farmer’s Daughter » qui fait un peu figure d’exception. Le Musée Harper doit regorger d’instruments géniaux… dommage !
Dans tous les cas, Ben Harper n’a rien à prouver à qui que ce soit et surtout pas à moi. J’imagine qu’Ellen et lui ont pris un pied énorme à enregistrer ces quelques morceaux ensemble et à domicile. La musique, c’est ça aussi : se faire plaisir ! Alors que les deux montent une petite entreprise d’artisanat familial pour l’esprit et le fun, je trouve ça cool. Les fans de Ben, les aficionados du folk-tradi et les habitants du bourg s’y retrouveront et ça fait déjà pas mal de monde.
La semaine prochaine, je te parle de minéralité musicale ou comment composer avec des cailloux et des bouteilles d’eau de source.
Entre temps, je vais faire un saut à Claremont, Californie, visiter ce petit magasin-musée dont les trésors me laisseront à coup sûr rêveur !
Stéphane Monnot