Avec son troisième long-métrage, le chinois Yi.’nan Diao semble vouloir faire la jonction entre les codes du polar américain et l’observation de l’état de son propre pays, même si Black Coal n’est pas tout à fait contemporain, se déroulant d’abord en 1999, puis en 2004. Celui qui a obtenu l’Ours d’Or au dernier festival de Berlin avoue ainsi avoir été influencé par Le Faucon Maltais de John Huston (pour le duo de privés et la femme fatale), La Soif du mal (pour les mêmes motifs et la signature d’Orson Welles) et Le Troisième Homme de Carol Reed (dont on retrouve ici la grande roue légendaire et le fantôme wellesien). l’inspecteur Zhang chargé d’une enquête qui tourne mal, entrainant son éviction avant qu’il ne reprenne du service cinq ans plus tard lorsqu’un nouveau corps démembré est retrouvé n’est d’ailleurs pas sans rappeler par son physique et la rondeur de son visage le réalisateur de Citizen Kane. Le printemps 1999 où des morceaux de corps sont retrouvés éparpillés dans différentes mines de charbon en Mandchourie précède l’hiver 2004 où reprend la traque tandis que deux nouveaux corps sont découverts. Le lien qui unit les nouvelles victimes à l’épouse du premier assassiné amène Zhang à soupçonner fortement cette dernière.
À force d’ellipses temporelles et narratives, on finit par perdre le fil de l’intrigue, : qui est impliqué, comment avance l’enquête. Autant de questions qui restent dans l’ombre. Le film dès lors déroule des scènes à la limite de la cohérence qui, prises séparément, offrent quelques belles fulgurances formelles (utilisation de la lumière électrique au coeur de la nuit, séquences autour de la patinoire) mais peinent à former un ensemble homogène. Le privé, le plus souvent sous l’emprise de l’alcool, a des comportements bizarres et la femme fatale qui s’occupe d’un pressing n’a au demeurant pas grand-chose de fatal. Au-delà des références au cinéma de genre américain (Le Grand Sommeil, par exemple), Black Coal ambitionne également d’évoquer à la fois de manière symbolique et individualisée la situation sociale de son pays. La gueule de bois permanente de son héros serait celle que connait une nation tourneboulée par sa transformation rapide. l’éparpillement des corps aux quatre coins de la région évoque la dissolution et la perte de cohésion de la société chinoise. Si on peut porter crédit au constat, il n’en reste pas moins que celui-ci est de moins en moins inédit. Peut-être le souci majeur pour Black Coal est-il d’arriver sur nos écrans un an après l’hypnotique polar de Cai Shangjun, : People Mountain People Sea (Lion d’Argent à Venise en 2013) et, surtout, quelques mois après le grandiose A Touch of sin de Jia Zhang-ke. Sans conteste, la vision du réalisateur de Still life est plus ample et davantage sociologique, mais elle est aussi plus convaincante sur le plan cinématographique.
Le reproche majeur qu’on serait tentés d’asséner à Yi.’nan Diao est de mettre en scène un film à l’image des cadavres retrouvés dans les mines de charbon, c’est-à -dire dissolu et démantelé. Comme s’il lui manquait une véritable ligne narrative sur laquelle se rattacher. Au milieu d’un ensemble étiré et souvent ennuyeux surnagent quelques beaux moments, où pointe un humour presque involontaire, néanmoins insuffisants à l’ériger en tant que chef d’oeuvre.
Patrick Braganti
Black Coal
Film policier chinois de Yi-nan Diao
Sortie : 11 juin 2014
Durée : 01h46