J.’assiste une fois à un retour pur et dur à la chose minérale. Cap D.’Agde, Camping de La Clape, été 1992 ou 93″je sais plus trop. Après trois bols d’un Pastis hyperdosé, un copain marseillais à demi nu se met à enlacer et lécher avec passion le gros rocher qui délimite notre emplacement. Il ne fait plus qu’un avec la pierre. En matière de minéralité, c’est ce que j’ai observé de plus puissant.
Je parle de ça parce que dans le topo de la maison de disque accompagnant »Infinity » de Yann Tiersen, il est de nombreuses fois fait allusion à cette chose minérale. On te décrit le bonhomme en pleine dérive psycho-géographique, en camping-car ou à vélo, glanant des sons au gré de ses pérégrinations. Tu l’imagines tendre un micro aux cailloux dans la lande bretonne, islandaise ou féroîenne où il traîne, demander aux gouttes d’eau comment elles bâtissent les stalagmites et tites. Tu le prends pour un illuminé borderline du mysticisme celtique »citoyen de l’Atlantide revenu parmi les vivants délivrer, enfin, THE MOTHER FUCKING VERITE ! On t.’y répète par deux fois que les bruits sont captés en analogique, puis numérisés, bidouillés et réanalogisés »Cette plaquette de présentation est flippante. Tu te dis : Oh putain dans quoi j’m’embarque ? à‡a a l’air chiant quand même, pourvu qu’on m’enrôle pas dans les Brigades du Grand Druide Céleste et Bienfaisant !
C.’est très mal connaître Tiersen. Tu as affaire à un grand musicien et un bruitiste hors pair, qui navigue en complète autonomie et entre les mondes »certes, mais qui maîtrise complètement son projet. Il aurait pu se cantonner, depuis quinze ans, au son à succès du »Phare » et à la musique de films, mais non »faut aller de l’avant, voyager, s’ouvrir et faire du neuf.
Je ne parle pas assez breton, islandais, féroîen ou même anglais pour te dire de quoi il retourne exactement dans les textes qui viennent orner ces dix instrumentaux, mais si j’en crois les titres, il y est souvent et effectivement question de pierre (Slippery Stones, Steinn, Meteorite). Ils sont chantés en chorale façon Arcade Fire ou parlés, saccadés, érodés. La musique et les bruits en tout genre sont imbriqués les uns dans les autres pour former un long bloc sonore où se mélangent violons, guitares, vent et pluie. Les phases quasi-cosmologiques (aux sens physique et religieux) alternent avec les retours au réel et ce sont les mélodies-comptines, oniriques – propres à l’ensemble de l’oeuvre de Yann, qui assurent le lien et te gardent en piste. Le rêve : fil tenu entre l’univers et l’homme ! à‡a fera un bon sujet de bac philo l’an prochain tiens !
à‡a s’trouve, ce nouveaux Tiersen est bien plus que le simple album » concept » minéral que la maison de disque te vend sur son prospectus maladroit. Moi j’dis, Infinity : une symphonie cosmologique. Faut pas être frileux les gars »après tout, la pierre – peut-être celle envoyée par Kubrick aux australopithèques dans 2001, rappelle-toi aussi Naf-Naf, Nif-Nif et Nouf-Nouf – sert à construire les maisons, les murailles, les tombes et les statues, à assembler les bribes de la civilisation, à sédentariser l’homme et le métamorphoser d’être libre en mouton reclus, idiot et violent. Et si j’ai bien compris, ce n’est pas du tout ce dont parle Infinity.
C.’est mon ressenti, je partage et suis prêt à en débattre.
Quels qu’en soient les sens cachés et les issues secrètes, ce disque se mérite et ne se livre pas à la première écoute. Il a besoin de calme et peut-être même d’un casque pour que chacune de ses subtilités reste à sa place et s’abandonne entièrement à toi. Pour me l’être passé plusieurs fois en voiture, parasité au diesel, pour avoir pensé, goguenard, que ça ferait un parfait fond sonore de salle d’attente d’ostéopathe et manqué de le démolir, ici-même, en place publique comme une barre H.L.M. vétuste »je sais de quoi je parle !
l’univers est grand, Yann Tiersen est peut-être un de ses prophètes… Qui sait ?
Stéphane Monnot
Yann Tiersen – Infinity
Label : Mute
Sortie : 19 mai 2014