Y’a des signes qui ne trompent pas. Je suis cartésien mais quand même »
Je suis dans le Cotentin chez mon pote Nicolas qui tient un hôtel sur la pointe de la Hague. Assis dans un fauteuil face à la grande baie vitrée du bar qui donne sur celle, beaucoup plus grande, mais pas vitrée, que dessine la côte. La tempête souffle dehors et il pleut des trombes. Tellement ça bastonne, il a fallu que je sorte en ciré jaune pour empiler et mettre à l’abri les tables et les chaises de la terrasse qui giclaient dans tous les sens. Bien failli m’envoler.
J’admire le spectacle de la mer et des éléments, le boucan des rafales et des vagues qui s’affalent. Une grande torgnole dans la tête aux rochers quand le raz-de-marée les éclate !
C’est beau et »c’est sauvage.
Repos du guerrier. Je lis un »Poulpe ». Je veux pas dire que je donne dans la nécromancie, la tripe et le trip oraculaires. Je parle de signes qui ne trompent pas, mais quand même. Non, je lis un roman policier relatant les aventures anarcho-burlesques de Gabriel Lecouvreur dit »Le Poulpe » Comme par hasard, ce coup-ci, l’enquêteur libertaire navigue en eaux troubles autour de l’usine de retraitement nucléaire dont je distingue les antennes et les pylônes derrières quelques collines. Je suis dans le bain et m’attends, d’une seconde à l’autre, à le voir surgir et commander une des bières, belge de préférence, dont il raffole.
Je pense à ces mots de Noir Désir ( » La Chanson De La Main » – une de mes préférées) : » deux poulpes indépendants courent le long du comptoir « . à‡a colle parfaitement, je visualise direct mon bouquin et un de ses frères s’avancer l’un vers l’autre et danser sur le zinc à la manière saccadée, image par image, quatre par seconde, des vieux films d’animation. à‡a me fait rire.
Nicolas s’affaire derrière moi à changer le fusible du programmateur de son énorme percolateur chromé et décide de mettre un peu de musique. Voilà qu’il n’insère rien de moins dans le lecteur que »Dry » de P.J. Harvey. Alors forcément, en antimatière de concordance paranormale d’éléments dissociés, tu vas me dire que c’est un peu léger et je vais te répondre que oui »pour toi peut-être »mais pas pour moi !
Parce que Nicolas en a des caisses et des caisses de disques et il peut mettre n’importe lequel. Mais il choisit Dry. Et Dry, au moment précis où je te parle, est une sorte de lien invisible entre tous les éléments de cet étrange puzzle.
Beau et sauvage.
Alors que je lutte contre les éléments pour sauver le mobilier extérieur de plastique blanc, je me demande si l’homme parvient de temps en temps à créer des choses belles et sauvages ou si la nature seule possède le monopole du concept. Mon imperméable claque au vent comme le fouet du dompteur mais ne parvient en rien à calmer la fureur des cieux, les dalles d’ardoise de la terrasse semblent s’être changées en patinoire et mes mains se crispent au contact de cette eau glaciale dont je ne peux même pas dire si elle vient des nuages ou des flots.
Tellement il pleut, la mer monte.
Je tique tout de suite sur la musique car dans ma tête »Le Poulpe » et P.J. Harvey sont associés. Dans le premier épisode de ses aventures, Lecouvreur découvre la musique de la belle anglaise au contact d’un juke-box dieppois.
Et puis, je repense à mon histoire de beauté sauvage, je comprends qu’il vient de se créer une équation parfaite entre l’intérieur calme qui m’abrite et le chaos, juste de l’autre côté de la paroi de verre ruisselant de miettes de tempête. Tout est comme dédoublé, en miroir, les mêmes lieux dans le bouquin et la réalité, ce disque reflet fidèle de l’ouragan. Beau et sauvage. Parce qu’il s’agit de ça. Tout simple en apparence, modeste presque. Des guitares qui figurent le tonnerre, qui bondissent en couches multiples, de la basse, de la batterie en étouffante chape de plomb et la voix, limpide et puissante, de Polly Jean pour le reste »l’accalmie comme les éclairs.
Toute cette flotte autour + Dry =, :-) !
Et le Poulpe qui se balade au milieu de tout ça, pas suffisamment impliqué dans l’humain pour juger de l’ampleur du dépotoir nucléaire »juste assez pour y penser »un peu. Ne lui manque au bras que sa Cheryl chérie. Une autre beauté sauvage tiens !
Y’a des signes qui ne trompent pas.
Stéphane Monnot
PJ Harvey – Dry
Label : Too Pure
Date de sortie : 30 mars 1992