Avec ce texte composé de courts chapitres, Philippe Annocque décrit des instants de la vie d’un jeune homme qui essaie de pénétrer le monde des adultes à travers les filles qu’il rencontre en sillonnant Paris et sa banlieue à bord du RER ou du métro en une sorte de road movie jalonnée de stations qui pourraient porter le nom de ces jeunes filles qu’il courtise – ou qui plus souvent le courtisent – sans grand succès. En lisant ses lignes, j’ai senti monter à ma mémoire des impressions que j’avais eues en lisant » l’attrape-coeur » mais, ma mémoire étant de moins en moins fidèle, ce n’est peut-être qu’une vague impression. Pourtant cette quête de l’identité sexuelle, de l’accomplissement sexuel, de son moi intérieur, celui que les autres ne connaissent pas, et de l’image que les autres se font de lui, constitue bien un rituel initiatique conduisant ce jeune homme vers l’adulte qu’il devient, qu’il ne connait pas et ne comprend pas encore. » Un instant, il se demande s’il est vraiment hors du commun « .
Ce » Rien » c’est peut-être l’impuissance devant les filles qui essaient de le séduire, l’échec de sa tentative pour monter une pièce de théâtre, l’incapacité de conserver ses amis : des échecs récurrents mais peut-être des passages obligés avant de connaître la réussite. Il comprend finalement qu’il n’est peut-être qu’un solitaire qui trouvera le succès au bout de sa démarche personnelle. » Après tout c’est tellement plus agréable de marcher seul, à son propre rythme de décider seul de ses pauses, de ses accélérations ; c’est le seul moyen de savoir vraiment ce qui se passe en soi « .
Ce texte c’est aussi le doute, l’incertitude, que Philippe Annocque affectionne, il n’affirme jamais, il propose, suggère, avance, » il semble ne pas savoir, seulement pouvoir supposer ce qui est, ce qui pourrait être, ce qui va advenir : la vie qui oscille entre réalité et rêve. La certitude n’est pas son monde, il se cantonne dans les questions. Un questionnement sans fausse pudeur, traité avec finesse et délicatesse, pour évoquer l’homme qui découvre la vie et les obstacles qu’elle lui propose. Une interrogation sur la nature humaine, sur le moi qu’on ne sait pas qu’on devient. » « C.’était une des premières fois qu’il constatait à quel point l’image que l’on pouvait avoir de lui était différente, pouvait être différente de celle qu’il avait de lui-même ; » »
Et, pour moi, un texte à l’image du héros et du narrateur, et de l’auteur peut-être ? un texte intellectuel plus qu’affectif, un texte qui voudrait tout expliquer sans jamais laisser le héros glisser sur le toboggan de ses sentiments, un texte très écrit, travaillé, serré, qui ne laisse aucune place à la fantaisie et qui ne concède qu’un maigre espace à la critique ; l’auteur a tout prévu : » Il se plaît à évoquer l’ignorance de ses futurs lecteurs et à imaginer leurs supputations, il les sent s’organiser en un vaste public qui peu à peu mérite le nom de postérité « .
Mais comme dans ce » Rien » il y a tout ou presque on ne peut que se fier à cette citation de Fritz Zorn que je viens de lire dans » Le pas sage à l’acte » d’André Stas : » Le rien est toujours parfait » alors »
Denis Billamboz
RIEN (qu’une affaire de regard)
Roman français de Philippe Annocque
Quidam éditeur
236 pages – 18 euros
Parution : 2014 (réédition)