Martin, un professeur d’âge avancé, est retraité dans un village des Apennins. Il y vit, pas à tout à fait seul car il s’entoure aussi à l’occasion d’animaux qui lui parlent, tel son chien. Il n’est pas un ermite intégral car il est resté en contact avec Remorus, artiste quelque peu cynique, assoiffé de gloire, de reconnaissance, et avec Voudstok, cultivateur de cannabis, nostalgique des années 60, dont l’auteur trace le portrait : » Virgile, alias Voudstok, habite dans une maison rutilante de tags, à un kilomètre et demi d’ici.
Pour lui, le temps s’est arrêté à l’époque du paléo-rock et de Woodstock. Il a le même âge que moi, mais il porte des jeans pattes d’éléphant ornés de dessin, des gilets en cuir, une longue queue de cheval de cheveux blanchâtres, et touche finale, un bandana sur le front. «
Désireux de prendre ses distances avec le milieu universitaire dont il est issu et dont il connaît tous les codes, Martin apprend par Voudstok, qu’un jeune couple s’installe près de chez lui. Le compagnon, que Martin surnomme Le Torve, ne provoque guère de sympathie chez lui ;il n’en est pas de même pour Michelle qui réveille en lui des sentiments, des sensations, des désirs qu’il croyait ensevelis, classés dans ses archives affectives. Il revit, redécouvre, par l’échange et la conversation avec Michelle des nouvelles potentialités. Ainsi précise-t-il à Michelle le sens de l’attente dans l’amour : » Nous ne pouvons pas toujours attendre avec patience. C.’est comme l’amour. Nous tombons amoureux d’une personne, et aussitôt le temps s’accélère, nous venons de la quitter et nous voulons la revoir tout de suite (« ) vous, Michelle, vous êtes pressée parce que vous êtes amoureuse de votre avenir, de votre métier, du désir de retrouver les lumières du théâtre auprès de votre Tamino ou de votre Hamlet. » Ces échanges avec Michelle font aussi redéfinir à Martin le sens de la solitude, élément s’il en est, de la condition humaine : » Ma solitude est digne, je l’affronte tête haute, mais si je la regarde en face elle me raille, me blesse, elle fait revenir toutes les solitudes du passé. C.’est ainsi : chaque solitude contient toutes les solitudes déjà vécues. «
Le récit de Stefano Benni est très plaisamment organisé : chaque chapitre s’ouvre sur un poème, éclairant l’esprit et l’orientation des lignes à venir. l’auteur fait d’autre part une référence explicite aux Nuits Blanches de Dostoîevski, dont il s’inspire dans l’articulation du roman. Ce roman nous séduit, il pastiche sans dénigrer, il manie l’ironie sans une utilisation abusive de la dérision. C.’est un éloge de la création littéraire, de son imprévisibilité : » Borges, le grand lettré, rêve en fait de se battre au couteau dans les bas-fonds de Buenos Aires. (« ) Oscar Wilde fait l’éloge du mensonge et semble railler les gens ordinaires, et pourtant il nous donnera la Ballade de la geôle de Reading. »
Comment ne pas approuver cet éloge de la surprise ?
Stéphane Bret
De toutes les richesses
Roman de Stefano Benni
Editeur : Actes Sud Editions
224 pages – 22€¬
Parution 11 juin 2014